A Carnegie Hall dimanche, mais pas dans la grande salle, au Weill Recital Hall, petite salle située au 4e étage, vouée à la musique de chambre, et de fait il s’agissait des deux trios de Schubert interprétés par le Clavier Trio (Arkady Fomin, violon, Jesus Castro-Balbi, violoncelle et David Korevaar au piano). Dehors il pleuvait. Le concert était à 2 p.m. je n’avais pas réservé à l’avance et j’ai été très heureuse d’acheter ma place sans aucune difficulté à l’ouverture des guichets à midi. Entre temps je suis allée me restaurer au Deli Premier Café angle 7th avenue 55th st. Revenue pour l’ouverture de la salle – je voulais jouir du lieu – je suis allée de surprise en surprise. D’abord la salle d’une architecture un peu inattendue perchée à un quatrième étage.
Ensuite le public, composé à 80 % de vieilles dames russophones, qui étaient là comme chez elles, entre elles ou tout comme, accompagnées de 10 % de vieux messieurs russophones, un peu plus jeunes m’a-t-il semblé et, éparpillés parmi eux, de 9,50 % de germanophones des deux sexes et d’âges mêlés. Je m’arrondis au 0,5% restant : il y a 268 places dans la salle. Ma voisine de droite, vieille dame russe (qui me demande à l’entracte si j’enjoy, comme je lui réponds, m’arrête pour me demander si je parle anglais, ce que je croyais bien être en train de faire) m’expliquera que le public de ces concerts est toujours celui-là et que, d’ailleurs, elle devra se hâter à 4 p.m. d’en rejoindre un autre à Columbus Circle. Elle espére qu’à 4 p.m. le Clavier Trio en aura fini avec Schubert. Ce qui arrivera car, troisième surprise, les deux trios sont exécutés avec grand entrain. Un Schubert électrisé par le Nouveau Monde, qui a son charme et sa virtuosité, mais surprend un peu à première oreille.
Le deuxième trio de Schubert, je ne suis sans doute pas la seule à l’avoir découvert dans une salle de cinéma, grâce au Barry Lyndon de Kubrick, film qui m’avait légèrement ennuyé : je n’étais pas encore une dix-huitiémiste convaincue. Le premier trio c’est dans une magnifique émission – que j’aimerais bien réentendre – de la série “La musique et les hommes” consacrée à Roland Barthes que je l’ai entendu pour la première fois. Barthes y tenait des propos sur la musique romantique de même pertinence que ces écrits sur la photographie. J’ai malheureusement usé la cassette enclenchée en catastrophe, prise au dépourvu, enregistrement amputé des premières minutes. Je me souviens qu’il avait aussi parlé de ce qu’écoutaient sur leur transistor les peintres qui, dans ces jours-là, repeignaient son appartement.
C’est en sortant de Carnegie Hall que j’ai croisé la Polish Parad ou Polish Pride. Aujourd’hui, sur la même 5e avenue est passée la Columbus Day Parad, mais j’étais à mon bureau d’ici, Washington Square.