L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

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Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux

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Rangeant les notes que j’avais préparées pour mes interventions à propos d’Atelier 62, hier chez les sociologues du GRESCO à l’université de Poitiers (dans une salle baptisée Gargantua, ce qui allait très bien aux forgerons) et ce matin chez les spécialistes de l’autobiographie de l’ITEM, à l’ENS (en salle Beckett), je trouve ces extraits d’entretiens de Pierre Bergounioux sur les liens entre littérature, histoire, sciences sociales.

Je ne les ai cités ni à Poitiers ni à Paris – où je n’ai évidemment pas dit la même chose puisque les problématiques des séminaires étaient différentes – mais je les avais sous le coude. Je prépare toujours des notes pour dire finalement autre chose, mais c’est ainsi que cela fonctionne, j’ai besoin d’être passée par cette étape de réflexion écrite et étayée pour pouvoir me lancer.

En les relisant, je me dis que je ne referme pas ces fichiers sans citer quelques extraits de ces propos de Pierre Bergounioux, parce que j’y souscris entièrement.

Au moment de la sortie du premier tome de son magistral Carnet de notes dans le supplément livres du Monde, (03/03/2006) Pierre  Bergounioux donne sa vision des rapports entre histoire et littérature

Je dirai que c’est un seul et même discours qui s’est diffracté. L’histoire, qui avance par longues enjambées, ne peut pas descendre à ce détail exquis, irremplaçable, chatoyant, infiniment précieux dont se nourrit la littérature (…) L’historien, surtout depuis Braudel et son histoire longue, est celui qui brasse des destinées par milliers, par millions, la durée par siècles… des vastes périodes qui échappent à la conscience que nous en avons. Il faut fatiguer des montagnes d’archives avant de se faire une idée des processus énormes au regard de quoi notre vie n’est rien.

Et je pense que la littérature est ce discours d’une extrême précision qui s’efforce, avec la sensibilité d’un sismographe, d’enregistrer le cours de ce qui aura été notre vie. Mais à mes yeux elle ne vaut pas une heure de peine si elle ne se rappelle pas qu’elle est en quelque sorte la sœur cadette de l’histoire. Nous sommes de part en part des créatures historiques, et le moindre mouvement dont tressaillent nos cœurs, la moindre pensée qui traverse nos cervelles renvoient en dernier recours à l’histoire universelle. (…)

Interrogé sur les « clartés » que la littérature jette sur notre destinée, il ajoute

Je pense que la littérature est quelque chose comme une science exacte. Si on ne se paie pas de mots, si on évite de composer un des divers rôles qui s’offrent à l’écrivain, et que l’on s’applique simplement à saisir, à ressaisir, à percer l’éternelle énigme du présent, le mystère toujours renaissant de la réalité, alors oui, la littérature pourrait bien être cet effort vers la justesse, l’exactitude…allons-y : l’authenticité, la probité…

Quelques années plus tôt, dans  le livre d’entretiens avec son frère Gabriel, Pierre Bergounioux, l’héritage (Flohic, 2002, rééd Argol, 2008), Pierre Bergounioux expliquait en quoi le développement des sciences sociales (l’intrusion récente, très dérangeante, des sciences sociales dans le paysage) avait changé la littérature, et malmené, voire condamné, le roman

De Marx à Max Weber et à Pierre Bourdieu, elles (les sciences sociales) ont offert aux agents sociaux que nous sommes des lumières décisives sur ce qu’ils sont et font, qui n’est jamais ce qu’ils croyaient.  Une chose est de vivre, autre chose de méditer et de connaître. La vérité du monde social, comme celle de l’univers naturel, n’est accessible qu’à une activité spécifique, scientifique. Cet acquis a changé la donne, porté un préjudice irréparable, par exemple, au genre romanesque qu’il condamne soit à la naïveté – c’est en l’absence de la sociologie que le romancier du XIXe siècle a pu se croire omniscient – soit à une inacceptable invraisemblance. Nul n’est plus censé ignorer les déterminants sociaux des personnages. (…) Un écrivain ne peut plus se contenter de lire les autres écrivains. Il lui faut enjamber le mur qui sépare, à l’université mais dans la société aussi, les disciplines et les métiers, lutter contre les conséquences mutilantes de la division du savoir.

Ce même thème, je l’avais entendu en débattre avec François Bon à Beaubourg un soir de décembre 2005, juste comme les premiers mots des textes qui deviendraient Atelier 62 filaient sur le clavier.

Enjambant le mur cloisonnant les disciplines et les savoirs, c’est bien comme cela aussi que je conçois la littérature. (Mais je ne saurais jamais l’exprimer avec cette élégante justesse – ah le “fatiguer des montagnes d’archives”…)

Merci à Marlaine Cacouault et Gilles Moreau pour le séminaire du GRESCO, à Catherine Viollet, Véronique Montémont et Philippe Lejeune pour celui de l’ITEM : les réflexions échangées lors de ces deux journées m’ont fait avancer ; elles auront des prolongements.

PS : si vous cherchez d’autres articles de ce blog consacrés à Pierre Bergounioux, en voici quelques uns :

Art de la jonquille chez Pierre Bergounioux : mise à jour 2016-2020

Un printemps bergounien malgré tout

Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux

Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)

Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)

Compression d’étés bergouniens

Lui et nous : à propos du Carnet de notes 2011-2015 de Pierre Bergounioux

Jonquilles primeures à Gif-Sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux

Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux

Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux

Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010, lecture in progress

Lecture en cours : Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010

“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur

Dans Les moments littéraires, Bergounioux

D’une page 48 de Bergounioux, et tout son monde est là

Couleurs Bergounioux (au couteau)

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déc 12, 2009

“Entre-deux” de Nicolas Aiello, plus un

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Ouvreuse de si nombreux cartons et liasses d’archives dans lesquelles personne n’avait mis son nez depuis des lustres et encore lectrice assidue de bibliothèques aux fonds anciens, je suis évidemment sensible au travail photographique de Nicolas Aiello, Entre-deux, proposé dans la collection portfolios de la coopérative d’édition numérique publie.net.

Parce que les rencontres incongrues comme celles qu’il saisit entre les pages des livres, avec ces marques personnelles de précédents lecteurs restées tapies-là jusqu’au prochain curieux du même texte, j’en ai eu ma part.

Aux Archives nationales, salle Clisson, quand je dépouillais les papiers confisqués dans les couvents féminins de Paris pendant la Révolution, je tombais régulièrement sur d’anciennes cartes à jouer, dont je signalais, comme il se doit, la présence à la présidence de salle. L’éparpillement de jeux de cartes dans ces papiers du XVIIIe siècle était connu et on essayait de le suivre à la trace. Dans des livres anciens, il m’est arrivé aussi bien souvent de dénicher des tracts, des publicités, des menus, des billets de musées ou de transports, des photos…

Autant de legs à la postérité, proches de ceux que Nicolas Aiello photographie dans l’Entre-deux – entre-deux pages, entre-deux lectures – d’ouvrages circulant de la main à la main dans la modeste et villageoise bibliothèque de Frocourt ou dans celle, plus fournie et plus peuplée, de  Montreuil.

Si truffer, larder, un livre de cuisine de ses propres recettes manuscrites sur feuilles volantes va de soi, d’autres rencontres sont moins attendues, comme cette liste de noms de musiciens (on y déchiffre celui de Dominique Pifarély) recopiée sur une page de garde, la carte des spécialités du glacier ou l’emballage de friandise tenant lieu de marque page. Débordements de vies personnelles de lecteurs recueillis par les livres qui pour un temps les accompagnent et s’en font supports.

Ma plus récente trouvaille de ce genre dormait dans un livre ancien : enchères à ma portée du fait d’une reliure en mauvais état dissuasive aux collectionneurs, quand je n’en voulais moi qu’à ces pages bien toutes présentes. C’est une image découpée d’une planche de jeu de divination “Le miroir magique”, glissée entre les pages 144 “Botanistes, Boues”, et 145 “Boulevards, Bourse” de lAlmanach du voyageur à Paris, CONTENANT une description sommaire mais exacte, de tous les Monumens, Chef-d’oeuvres des Arts, Etablissemens utiles, & autres objets de curiosité que renferme cette Capitale : OUVRAGE utile aux Citoyens & indispensable pour l’Etranger. Par M. Thiery. ANNEE 1785. A PARIS. Chez HARDOUIN, Libraire, au Palais Royal, sous les arcades à gauche n° 14. GATTEY, Libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l’Auxerrois.

L’exemplaire a appartenu à une demoiselle D’Emiéville d’après une mention manuscrite sur la page de titre, mais l’oracle s’adresse à un jeune homme.

Ce qu’on lit au recto de l’image, sous le portrait : Manières admirables ; physique adorable ; légèrement brune, conduite irréprochable ; taille un peu élevée : tel est le portrait de celle qui, un jour ou l’autre, embellira votre vie. Cette charmante jeune fille contribuera dans toutes les entreprises que vous ferez ; beaucoup de gens chercheront à vos détourner d’elle ; vous écouterez quelques conseils mais n’en suivrez aucun. L’oracle dit que votre vie sera accidentée. Mille péripéties viendront vous ennuyer ou vous amuser. Pour savoir votre sort à venir, vous n’avez qu’à tourner cette petite feuille, c’est le moyen de comprendre ce que le ciel vous réserve.

Et au verso : REPONSE DU MIROIR MAGIQUE

Rien ici-bas n’est plus beau que la femme que l’on aime, quand elle réunit dans sa personne les qualités que je vais énumérer : beauté, sagesse, économie, travail, amour. Telle est celle qui vous est destinée. Seulement avant de la posséder, il vous faudra passer différentes épreuves : on voudra savoir si vous répondez à ses qualités. Il vous faudra pour cela beaucoup de courage, car plusieurs personnes chercheront à vous nuire. Une lettre vous annonçant un changement de position donnera cours à votre volonté et vous finirez par obtenir la main de celle qui vous aime autant que vous pouvez l’aimer. Suivez toujours les bons principes dans lesquels vous avez été élevé et vous vous en sentirez bien.

L’imprimeur de la planche - L. Baudot, éditeur, rue Domat, 20, Paris – spécialisé dans les ouvrages et jeux de magie ou prestidigitation exerçait dans les années 1880.

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nov 13, 2009

“Atelier 62″ c’est dans la poche

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Sans rien perdre de leur vigueur, les forgerons de l’Atelier 62 changent de format et de prix : à partir du 15 octobre le livre sera disponible dans la nouvelle collection “Corps neuf” (un bel intitulé typographique qui dit bien le soin dont elle fait l’objet) que lancent les éditions  Le Temps qu’il fait.

Les forgerons qui formaient la tête des cortèges ont donc là aussi l’honneur d’ouvrir la marche. J’en suis fière avec eux, mais quand je vois qui va nous emboîter le pas, je suis dans mes petits souliers.

 

Amand n’est plus sur la couverture, mais rassurez-vous, la célèbre photo du marcheur de Billancourt est à l’intérieur du livre (qui ne coûte plus que 12 euros). Qu’on se le dise…

Et s’il n’arrive pas dans votre quartier,  pour l’acheter en ligne chez Bibliosurf, où je vous assure que derrière l’écran il y a un libraire qui s’appelle Bernard, suffit de cliquer sur la couverture.

 

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oct 11, 2009

Ce qui brûle, du Hilton/Montréal ou du Bridge/Dreux

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François Bon  qui laisse ouvertes bien des lucarnes sur son atelier – et on lui en sait gré -, a évoqué, ici et , la genèse de son dernier livre L’incendie du Hilton, son temps, ses lieux et ses chemins d’écriture. Un texte tombé sur le paletot de l’auteur – celui qu’il n’a pas le temps d’enfiler, ni ses chaussettes d’ailleurs -, à 1h47 le samedi 22 novembre 2008 quand il est sommé d’évacuer AU PLUS VITE MAIS DANS LE CALME l’hôtel Hilton qui l’héberge le temps de sa présence au salon du livre de Montréal – salon dont les tables couvertes des sacro-saintes et vaines piles sont elles-mêmes dressées dans les sous-sols de l’édifice.

L’incendie du Hilton recompose les 4 heures que durent l’évacuation et ses déambulations, les rencontres et les interrogations de celles et ceux qu’on a tirés du lit sans rien leur expliquer, pour prendre fin quand on les y reconduit en bon ordre mais par les boyaux du building. Il se lit dans la même unité de temps (ou un peu moins) de préférence en continuité, histoire d’être synchrones.

Sauf que le temps de tout ça, le Hilton n’a pas brûlé, ou alors juste un tout petit peu dans les cuisines et dans les têtes – 11 septembre passé pas loin -, des écrivains, des footballeurs et de leurs supporters (aux footballeurs, pas aux écrivains) réunis dans l’hôtel par les hasards du calendrier événementiel de la ville.

La ville évidemment est là, mais sans tain, perçue par ses dessous, ses espaces vides pas forcément nickel, où stationnent (en dessous des camions de pompiers) les 800 clients du Hilton privés de sommeil : une patinoire – c’est là que l’auteur attend la suite des événements qui n’en sont pas -, des couloirs d’accès à la gare centrale et vers le Tim Hortons, seul bar ouvert.

Par deux fois l’auteur rejoint ce Tim Hortons, en quête de gobelets réconfortants (un café, un thé), qu’il rapportera dans son igloo géant, et par deux fois il y noue conversation. La première avec un vieil écrivain rasoir et imbu qui le harponne et l’assomme, mais avec lequel il joue aussi en double. Et  la deuxième avec les frère Rolin, Jean et Olivier, de passage dans la contrée : un bonheur d’hommage à la fraternité façon Rolin.

Au milieu de tout cela, pile au milieu du livre, ce fort chapitre réminiscence de l’hôtel où l’auteur a passé deux jours la semaine précédente, le Bridge à Dreux, moins étoilé que le Hilton, pour y suivre un stage de récupération de points de permis de conduire. Là aussi “parqué” malgré lui avec des compagnons d’infortune pas choisis, tous un peu mis à nu (mais pas que des pieds) par la dynamique de groupe et la sécurité routière réunies. Des pages essentielles pour donner l’échelle, des villes et de leurs hôtels comme des préoccupations de ceux qu’on y croise “accidentellement” ou de la reconnaissance relative des écrivains pourtant connus.

Le Bridge, loin des salons du Hilton, sans librairie éphémère dans ses sous-sols, mais bien au contact du monde. Comme disait le vieil écrivain rasoir (p.65) sans que François Bon ne le contredise : La littérature, oui, mais à l’endroit où elle heurte à la représentation du monde. On y est. Et c’est peut-être bien là que le feu couve.

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sept 3, 2009

“Le coffre-fort de ma mère” de Pierre-Jean Amar, ouvrez-le

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Vous y verrez, magnifiquement photographiées, ces collections d’objets usuels à quoi se réduit la vie d’une mère, tout à la fin, quand l’appartement est livré au regard du fils. Un fils unique, tard venu dans le couple parental, orphelin de père depuis ses 15 ans et dès lors capté par une mère absolue, comme on disait des monarques.

La pile de valises dans une encoignure (se tenir prête à partir, elle le savait d’expérience), les quatre sacs à main alignés sur une étagère – les mères de ce temps-là ne jetaient pas leurs sacs à main -, les services à café dépareillés dont les cafetières ont perdu leurs couvercles, les casseroles aux fonds percés mais qu’on ne jette pas non plus, aussi bien que l’accumulation débordante des boîtes de médicaments périmés, les boules Quiès et le vieux dentier dans le tiroir ouvert de la table de chevet.

Et puis l’usure des ans posée partout, les empreintes, les traces, les écaillures, les fils électriques, leurs vieilles rallonges et leurs prises multiples comme on ne les fait plus qui pendent.

Photographe et historien de la photographie, Pierre-Jean Amar vient de publier Le coffre-fort de ma mère aux éditions Le temps qu’il fait, un livre de photographies doublement émouvant : par ce qui nous y est montré comme par la confiance qui nous est faite de partager cette intimité-là. Ces images nues et pudiques qui rendent sensible l’écoulement du temps nécessaire à leur auteur pour en réchapper, trouver sa distance.

Dans un court texte introductif l’éditeur, Georges Monti, restitue les mots de Pierre-Jean Amar lui confiant l’enveloppe qui renfermait ses clichés ; les histoires d’une mère et d’un fils si tardivement démêlées.

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juil 30, 2009

D’une page 48 de Bergounioux, et tout son monde est là

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L’autre soir, comme s’organisait, sur Twitter, entre Pierre Ménard, instigateur/animateur, du blog Page 48, notamment, et Joachim Séné, auteur, entre autre, de Roman bien connu, la lecture de la page 48 de Montparnasse monde, désormais en ligne - et même deux pour une puisque selon le support de lecture, dans les livres numériques il peut y avoir deux pages 48 différentes -, je me suis mêlée de la discussion en me portant candidate à la lecture de la page 48 du Carnet de notes tome 2 de Pierre Bergounioux.

Parce que son nom manquait dans la liste des auteurs dont l’écoute d’une page 48 est proposée sur ce blog, anthologie audio de pages 48, en une judicieuse mise en application/amplification d’un remember de Joe Brainard : Je me souviens d’avoir projeté de déchirer la page 48 de tous les livres que j’emprunterais à la bibliothèque publique de Boston mais de m’en être vite lassé. Pierre Ménard, lui, ne se lasse pas de recueillir et offrir en partage des pages 48 lues par des voix amies de leurs textes.

Et amie de l’oeuvre de Bergounioux, je n’en fais pas mystère, je le suis, depuis la première fois que j’ai ouvert un de ses livres, il n’y a pas si longtemps mais tout de même dans une vie antérieure. C’était La Toussaint, logiquement choisi pour des vacances de Toussaint en Normandie, en 2005.

Que la seule page 48 d’un livre se prête à extraction et garde tout son sens, ou mieux encore porte du sens de toutes les autres, n’est jamais évident. Mais il me semble que celle du tome 2 (1991-2000) du Carnet de notes de Pierre Bergounioux s’y prête merveilleusement, en ce qu’elle reflète (presque) tout l’univers du quotidien de l’auteur, trame de ses Carnets, dont j’attends avec impatience la parution du tome 3.

La famille (nucléaire) est là, par ordre d’entrée en page : Pierre, Paul (fils cadet), Jean (fils aîné), Cathy (épouse de Pierre, mère de Paul et Jean). La scène se passe à Gif-sur-Yvette, mais des photos récupérées nous transportent aux Bordes et à Brive. On est dans la cuisine dont Pierre vide le lave-vaisselle – tâches domestiques bien partagées chez les Bergounioux – mais aussi au collège, et dans la voiture pour emmener un enfant à sa leçon de musique. Pierre corrige des copies, fait travailler ses fils, lit, écrit, s’active à nettoyer le terrain entourant la maison, trouve un oeuf d’oiseau (à défaut de Grand Sylvain) qui retient son attention. Pierre est fatigué, touche le fond, mais goûte aussi la lumière de cette fin mai 1991. Il fait chaud à Gif, mais sur les photos Les Bordes sont sous la neige…

Tout cela en une seule page, au bas de laquelle Pierre va se coucher. Mon seul petit regret : qu’il ne trouve pas le temps de tordre et façonner en figure humaine un rebut de métal qu’il aurait glané dans une casse corrézienne aux dernières vacances et rapporté dans le coffre de la R21 qui aurait fait entendre un bruit bizarre à partir d’Orléans, mauvais signe. (On notera aussi qu’il n’a pas le temps d’aller à la pêche).

Que ma lecture de cette page 48 de Bergounioux ne vous empêche surtout pas de lire celles qui la précèdent, celles qui la suivent et toutes les autres dans tous ses autres livres – j’aurais alors été contre-productive et ne m’en remettrais jamais. Il y a tellement de choses de nos vies à tous qui s’y lisent formulées au plus juste.

PS : si vous cherchez d’autres articles de ce blog consacrés à Pierre Bergounioux, en voici quelques uns :

Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux

Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)

Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)

Compression d’étés bergouniens

Lui et nous : à propos du Carnet de notes 2011-2015 de Pierre Bergounioux

Jonquilles primeures à Gif-Sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux

Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux

Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux

Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010, lecture in progress

Lecture en cours : Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010

“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur

Dans Les moments littéraires, Bergounioux

Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux

Couleurs Bergounioux (au couteau)

PS bis : et si vous ne connaissez pas les études bergouniennes de Jean-Claude Bourdais, “Bergounioux et moi”, courez-y

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juil 18, 2009

“Liquide” : les eaux douces amères de Philippe Annocque

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Dans Liquide, le quatrième livre de Philippe Annocque (coup de chapeau en passant au beau discernement de Quidam Editeur) dont j’avais lu et bien apprécié déjà, Par temps clair, et suis toujours curieuse de lire derrière les hublots, ce n’est pas l’eau qui manque mais on ne peut pas dire pour autant  que “ça baigne” pour celui assis sur le banc au bord du fleuve.

D’abord celui c’est qui ? Ni je, ni il, même pas une autre : sans personne grammaticale – belle performance de l’auteur – un personnage qui forcément n’a pas la vie ni l’identité faciles. Et si tous ses soucis venaient de là, qu’il n’y aurait jamais celui qu’on croit, à l’intérieur ? “On” : en fait, plutôt elles – une mère, une amante de jeunesse, une épouse de maturité et sa mère, donc une belle-mère, et les deux filles nées de l’union avec l’épouse – toutes à jeter leurs pavés dans la marre. Lui, bien éclaboussé, surtout par le dernier, lancé par l’épouse lasse, qui lui vaut sa longue pause méditative/rétrospective devant brindilles emportées au fil de l’eau.

Et les grandes eaux de sa vie d’entraîner ses pensées : eaux prometteuses des douches ludiques avec l’amante, eaux quotidiennes des vaisselles et des lessives sous le règne de l’épouse électro-ménagèrement conseillée par sa mère, eaux exceptionnelles et déconcertantes, échappées de la poche rompue trop tôt, prélude à la naissance de la fille aînée. Un peu de larmes, un peu de pluie.

Philippe Annocque propose un texte profondément original, dans sa présentation typographique même qui ne se “justifie” pas plus que celui qui procède à la relecture liquide, infiniment subtile, drolatique et grave, d’une vie qu’il n’a pas eu la présence d’esprit de mettre hors d’eau, comme on se dépêche de le faire quand on construit une maison – de préférence sur un vide comme le fait très justement remarquer le père.

A la lecture, en tout cas, Liquide, aucun doute, ça baigne.

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mai 13, 2009

“Ce monde en train”, Pierre Vinclair, vertus de l’écriture in situ

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Pour aller à son travail – il enseigne la philosophie – Pierre Vinclair prend le train, le TGV du Mans jusqu’à Rennes, et arrivé là continue avec le bus 13 (un monde à lui tout seul aussi, semble-t-il, ce bus). Un an de trajets quotidiens pendant lesquels il écrit, au stylo sur un carnet ou au clavier posé sur la tablette rabattue du dos du siège de son voisin de devant, de brefs textes qu’il appelait ses  ”proses du TGV” avant que leur réunion donne naissance au livre Ce monde en train qui vient de paraître.

Ce qu’il écrit c’est simplement tout ce qui lui arrive du monde, à hauteur d’yeux et d’oreilles, là où il se trouve, sur un siège de TGV. Soit : du paysage au-delà d’une vitre épaisse qui en coupe les sons, s’il tourne la tête d’un côté ; des dos de fauteuils et des reflets de crânes de voyageurs ou bien des voyageurs assis en face de lui selon le type de place qu’il occupe (carré ou duo) s’il regarde droit devant lui ; des profils ou des 3/4 biais de voyageurs assis sur leurs sièges s’il tourne la tête de l’autre côté et selon qu’il se penche plus ou moins. Et des gens debout sur les plateformes quand il se déplace.

Tout un monde assemblé, avec lequel il lui faut composer, le temps d’un déplacement à grande vitesse dans un espace réduit qui exacerbe les présences de voisins qu’on ne se serait pas forcément choisis. Un monde qui cogne quand on aurait voulu penser à autre chose, rêver, lire, écrire justement. Alors, écrire ce monde-là.

Pierre Vinclair regarde et écoute, déduit et projette, parfois rejette – mais qui n’a jamais regardé de travers son voisin de train ? -, reste aux aguets des vies autour, de leurs possibles et de leurs carences, quand beaucoup s’endorment. Rêveur éveillé (j’ai pensé autant, voire plus, à Pontalis qu’au Paysage fer de François Bon en le lisant) saisissant Ce monde en train d’une écriture élégante, nette et incisive.

Quand il n’est pas dans le train ou devant ses élèves, Pierre Vinclair tient blog. Et je l’ai écouté lire récemment des extraits de son livre à Libralire, une librairie sympathique et  lumineuse, où j’étais très heureuse de retourner, puisqu’elle avait été la première à m’inviter l’année dernière, peu après la sortie d’Atelier 62.

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avr 21, 2009

“Roman” coupe réglée par Joachim Séné

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L’employée aux écritures s’intéresse, comme son nom l’indique, à l’écriture dans la pluralité de ses formes, y compris les plus brèves, et s’en félicite parce que les 12 pages du Roman réduit à ses plus simples expressions de Joachim Séné récemment paru dans la série “formes brèves” de publie.net, l’ont plongée dans une satisfaction profonde et durable – texte lu jeudi soir à effet persistant.

12 pages (et, ce nonobstant, 5 chapitres) pour vider un roman lambda qu’on aurait pris les yeux fermés sur une table à la rentrée, dans une gare même pourquoi pas, de la somme des semblants d’actions et autres avatars de personnages, qui voudraient faire croire qu’un roman n’en est pas un autre, et garder les plus petits communs dénominateurs, langagiers et circonstanciels, entre tous à partir desquels chacun rebâtira celui qui lui convient.

Mais en parfaite connaissance de cause, Joachim Séné démont(r)ant magistralement l’interchangeabilité du genre, à partir de ses “tics d’écriture”, qu’ils émaillent les dialogues ou relèvent des compléments de temps ou de postures.

Quant à la profonde satisfaction que la lecture de l’exercice, aussi salutaire que stimulant, me procure, je soupçonne mon incapacité à inventer la moindre histoire d’y être pour quelque chose. Parce que c’est rassurant, tout compte fait, de savoir que ce n’était que cela un roman.

Joachim Séné, signe par ailleurs Hapax, autre texte astucieux aux mots si bien choisis qu’il n’a pas besoin de les écrire deux fois, toujours chez publie.net, et tient blog sous le titre Journal Ecrit, un blog inclus dans son site.

Et à propos de blogs et de sites : un an tout rond que j’émettais mes premiers signaux de fumée. Un grand merci à celles et ceux qui les ont captés et sont venus souffler sur les braises…

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avr 11, 2009

Accident et incidences, “Ce matin”, Sébastien Rongier

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Il restait le souvenir très fort de la lecture de Sébastien Rongier en juin 2007 lors de la deuxième nuit remue.net au Théâtre Ouvert. Cette lucidité et ce calme impressionnants pour dire la collision des jours ordinaires avec celui qui fracasse.

Il y a maintenant le livre, Ce matin, qui file sur ses 190 pages ces mêmes qualités de simplicité et de justesse qui imprégnaient si fort les dix minutes de lecture entendue.

Un récit triangulé entre trois villes, Paris, Sens et Les Sables d’Olonne et entre elles des routes, et sur une autre route un samedi matin un accident dans lequel une femme, qui en a connu des villes, rentrant chez elle sa nuit de travail au chevet d’un vieillard achevée, perd la vie.

Son fils vit à Paris, sa fille plus jeune à Sens avec leur père et la femme vivait, elle, aux Sables d’Olonne, revenue de trop de routes auprès de ses parents. A la première personne, c’est le fils qui parle, le roman dira sobrement ce qu’il advient d’eux tous, ce cynique samedi – veille de fête des mères – et les jours d’après. 

Un accident révélateur du fils en responsable légal ; lui tout à sa métamorphose récente de porteur de lunettes en porteur de lentilles, ce qu’il lui sera donné à voir, à reconnaître contre toute vraisemblance et à décider, dans l’adversité des tiraillements familiaux. Jusqu’à la fracture des cendres en deux urnes.

Les phrases courtes de Sébastien Rongier sont terriblement efficaces, posent un pied devant l’autre, dans la rue Beauséjour où se trouve le funérarium (!), comme vers l’appartement qu’il conviendra de vider et l’inconnu(e) rencontrée là.

Des phrases brèves pour avancer pas à pas dans la “réalisation” du nouveau monde qui entoure le fils. Sans le flou sur les bords que laissaient passer les verres de lunettes et sans mère, d’un seul coup. 

“Et puis après, on verra bien”.

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fév 19, 2009

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