le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
La raison pour laquelle je n’ai pas trop le temps d’écrire un billet de blog ce week-end est que je me suis jetée à tête perdue, il y a de cela juste une semaine, dans la lecture du troisième tome du Carnet de notes de Pierre Bergounioux celui qui brasse et embrasse les années 2001-2010 et vient de paraître. Toujours habillé du jaune Verdier et pour faire suite au tome 2, 1991-2000, paru en 2007, et au premier, 1980-1990, en 2006. Des livres que j’ai tous lus dès parution et toutes affaires cessantes.
Bilan d’étape sur le tome 3, en une semaine, à 19h01 (heure de l’ordinateur) ce dimanche soir j’en suis à la page 376, autrement dit au mardi 24 juin 2003, au terme d’une année scolaire particulièrement éprouvante pour le professeur de collège Bergounioux. (Année scolaire pendant laquelle il a la grande décence de refuser la légion d’honneur, ce qui n’est pas vraiment pour nous étonner). L’espace de ces deux ans et demi, janvier 2001-juin 2003, Pierre Bergounioux, tôt levé, écrit (à la main puis dactylographie à l’ordinateur et sauvegarde sur disquette) notamment Les forges de Syam (où il a passé une semaine en février 2002), Simples, magistraux et autres antidotes, Jusqu’à Faulkner, B 17 G, le court traité visant à faire mieux Aimer la grammaire, et le livre d’entretiens avec son frère, le linguiste et écrivain Gabriel Bergounioux, Pierre Bergounioux, l’héritage.
Donc je n’ai rien écrit de la semaine pour donner le maximum de temps à cette lecture et si je n’ai pas avancé plus c’est qu’il y avait aussi le travail quotidien à assurer ; j’ai cependant mis toutes les chances de mon côté en changeant mes lunettes pour l’occasion.
Ce qui est assez troublant avec ce tome, c’est comme le temps du journal rattrape le nôtre, celui de la lecture. Voir par exemple Pierre Bergounioux dépenser ses derniers francs et retirer ses premiers euros à un distributeur ou le voir pester de plus en plus fréquemment contres les conversations ineptes infligées en tous lieux publiques par les portables (mais l’on cherche encore à savoir sur un minitel si un avion s’est posé).
Pour le reste toujours la fascinante fusion des vies d’écriture, de labeur enseignant, de famille et domestique. Ah ces fameuse lessives séchant sur les hauteurs de Gif-sur-Yvette entre deux grains ! concurrencées de plus en plus il me semble par l’épluchage des légumes, ou le passage au supermarché dès 8h30 du matin. Et les soubresauts de la R21 remontant de Corrèze bourrée de ferraille jusqu’à la gueule et lors d’un voyage même littéralement soulevée de la route par une hélice d’avion imprudemment arrimée sur son toit…
Mais sous la surface des jours et leur répétition, sans répit sourd l’angoisse de ne pas atteindre le but que s’est assigné l’adolescent de 17 ans : comprendre ce qu’il fait là – dût-il dévaliser sa vie durant toutes les librairies du monde, en “extraire” tous les livres. Pierre Bergounioux extrait ses lectures (recopie les passages qui lui plaisent le plus) comme le faisaient les lettrés du XVIIIe siècle
La cinquantaine venue, escortée comme toutes les cinquantaines de douloureuses disparitions de compagnons de route, et la notoriété de l’écrivain source d’incessantes sollicitations (le téléphone sonne de plus en plus dans la maison) et nombreux voyages (de Cuba à Sarajevo) lui laissant bien le peu le temps de s’appartenir ne peuvent qu’aggraver son angoisse. La tonalité dominante de ces années 2001-2010 est bien sombre, même si ce 24 juin 2003 C’est encore une éclatante journée qui commence – la canicule ne tardera pas.
Ceci dit, j’y retourne, au 24 juin 2003.
PS : si vous cherchez la suite et d’autres articles sur ce blog à propos de Pierre Bergounioux, voyez par ici :
Art de la jonquille chez Pierre Bergounioux : mise à jour 2016-2020
Un printemps bergounien malgré tout
Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux
Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)
Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)
Compression d’étés bergouniens
Lui et nous : à propos du Carnet de notes 2011-2015 de Pierre Bergounioux
Jonquilles primeures à Gif-Sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux
Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux
Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux
Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010, lecture in progress
“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur
Dans Les moments littéraires, Bergounioux
Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux
D’une page 48 de Bergounioux, et tout son monde est là
Couleurs Bergounioux (au couteau)
Mes premiers pas chez Bergounioux vont être pour bientôt.
Venu à la Librairie de Paris, pour trouver “La Condition Ouvrière” de Simone Weil et je suis reparti avec un autre invité : “Les Forges de Syam”. Ton billet donne vraiment envie de s’y plonger de suite mais il va attendre que j’ai finit “Sortie d’usine” de François Bon.
J’ai commencé un peu plus tard et suis donc un peu en retard sur Martine, page 83 seulement, début juillet 2001, mais j’en ai écrit un peu dans mon flotoir (en ligne) où j’extrais à mon tour du Bergounioux, mêlé à du Handke au demeurant (même éditeur, même couverture jaune, des Carnets aussi, mais très différents).
Plaisir aussi de vivre la conception ou l’élaboration de livres lus, comme par exemple les Forges de Syam.
Cette Bergouniouïte aiguë fait plaisir à voir.
Je me souviens avoir écrit à Verdier en 2007 pour me renseigner sur le second tome. Réponse : « En effet, la deuxième décennie 1991-2000 sera en librairie le 30 août. L’attendez-vous avec tant d’impatience ? »
Ben oui.
Claire Devarrieux a probablement raison de parler du « fan-club du journal de Bergounioux (regardé comme une secte par ceux qui n’en sont pas) »…
Atteint également de bergouniouïte depuis le Chevron, vais pour le mieux après lecture des Carnets 3
Que Pierre B.prenne soin de lui!