le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Passant bien souvent à côté de leurs intrigues et surtout de leurs dénouements, L’employée aux écritures goûte moyennement la littérature policière et la connaît mal, à quelques exceptions près, comme les livres de Jean-François Vilar, tous lus et appréciés parce que Paris, ses apparences et son épaisseur, et ceux de Lawrence Block parce que New York et le charme fou du libraire cambrioleur ou le spleen du détective qui ne boit plus d’alcool.
Mais le thriller rural et poétique, illustré de photographies magnifiques de pommiers et de pommes, que vient de publier Jean-Loup Trassard, Sanzaki, aux éditions du Temps qu’il fait, bien que terriblement éloigné par son cadre bocager – ça change la donne en cas de planques et de poursuites – , le métier de couverture de son héros Léandre – agriculteur – et ses activités illicites justifiant les dites planques et poursuites, ne me pose aucun problème de compréhension et je l’ai dégusté avec plaisir.
Parce que je sais de quoi il retourne, venant de la même terre que Jean-Loup Trassard (mon extrême sud de l’Orne et sa Mayenne, limitrophes, ont beaucoup à voir), terre tellement présente, en mots et en images, dans ses oeuvres – se souvenir de sa Conversation avec le taupier chez le même éditeur en 2007.
Sanzaki, c’est en fait un synopsis de polar, strictement découpé en une série de plans qui s’intitulent Charrue – Ferme – Chemin – Voiture – Alambic – Bistrot – Garage – Herse – Vélo – Grenier – Volante – Etable – Gendarmerie – Machine à écrire – Fumier – Journal – Herse – Tôle – Draps : c’est dire si on a les pieds sur terre.
Des plans – et quelques actions – qu’on voit et qu’on entend grâce à l’observateur tout ouïe, toujours caché au creux d’une haie ou dans l’encoignure d’une porte de grange, à qui n’échappe le moindre mouvement ni le moindre souffle et qui raconte :
Lumière à la fenêtre encombrée par pots de fleurs dehors et rideaux en dentelles dedans. La cour s’est emplie d’une nuit incertaine entre les masses plus sombres, maison, étable et loge, tas de fumier à l’écart dans un coin, tombereau immobile de tout son bois charronné, écurie, cabane à lapins, soue à cochons. Rien ne bouge. Si, une jument frappe lourdement le pavé d’un seul de ses pieds ferrés. On écoute la nuit.
Trassard distille son texte, comme Léandre le jus de ses pommes*, dans un livre “physiquement” – aussi – très beau : à consommer sans modération…
* Dans un tout autre style, mais du même tonneau par le sujet, Jusqu’à plus soif de Jean Amila (Jean Meckert) paru en Série noire en 1962 – l’action de Sanzaki est située en 1963.
Du même tonneau, c’est le cas de le dire… Hipps ! Un p’tit coup de calva pour l’employée aux écritures, et merci pour cette adresse qu’on se propose de lire et de chroniquer ici, d’ici quelques semaines. Je me souviens de ce “jusqu’à plus soif” avec cette Orne et ces passages en banlieue sud, si je me souviens bien : un chemin emprunté par ces distillations que l’Amand du 62 lui aussi empruntait, si je ne m’abuse…
Une fine critique, Martine. Vous donnez envie de lire ce livre, et vite.
Excellent, oui, le “jusqu’à plus soif”…