le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Beaucoup plus jeune, je cirais mes chaussures tous les dimanches soirs et l’avenir me souriait tous les lundis matins. Mais les années filent et les semaines naissantes portent de moins en moins de promesses alors je me suis défaite de cette habitude. Je ne cire plus mes chaussures que tous les 36 du mois comme je me mets sur mon 31 : en prélude à un événement de la carrure d’un entretien d’embauche ou d’un rendez-vous avec un éditeur renommé – événements dont la probabilité de m’advenir tend désormais vers le zéro virgule zéro. Le dimanche, quand je m’y adonnais le dimanche, l’opération cirage s’imposait comme l’un des rites d’une soirée qui voyait tous les compteurs se remettre à zéro pour les sept jours à venir. Il y avait lieu, dans ce temps-là, d’attaquer les lundis du bon pied, certes, mais les deux chaussés comme à neufs. Toutes mes paires de chaussures susceptibles d’être de saison étalées sur du papier journal dans l’entrée de l’appartement, je lançais un appel à la cantonade proposant d’étendre mes services à tous les souliers qu’on voudrait bien me confier et dont je prendrais un soin irréprochable. Assise par terre en tailleur, autour de moi, posés en rond, chaussures et matériel : une boîte ronde métallique de cirage noir et un tube de Baranne crème incolore qui ferait l’affaire pour tous les autres coloris, un chiffon de coton fin, découpé dans un dos de chemise blanche usée pour étaler, un chiffon doux, laine et soie, ancien foulard, pour reluire. Matériel que je rangerai dans sa boîte – boîte à chaussures – et cette dernière dans un bas d’armoire normande, la procédure terminée. Rien à voir avec l’accablement qui me saisit aujourd’hui quand, mue par un sursaut d’espoir, je me résouds à la même tâche après avoir en vain tenté de la déléguer. Le cirage trop vieux se craquelle dans sa boîte quand le Baranne incolore au contraire, liquéfié, fuit son tube. Dieu merci, comme les dimanches soirs les chaussures ont bien changé et la plupart des modèles que nous portons s’accomodent de l’absence de toute forme d’entretien leur vie durant tout en sauvant leurs apparences, même les grands jours.
(Une version précédente de ce texte était parue anonymement dans le blog collectif Le convoi des glossolales)
J’utilise toujours ce même matériel. C’est une activité qui procure une grande satisfaction, surtout le passage final de la brosse ou du chiffon pour faire luire.
(les chaussures de nos jours durent aussi moins longtemps, peut-être) je pensais tout à l’heure à la fin des années quarante en posant un commentaire chez Christine Jeanney et à votre père lequel me fit me souvenir du début des années soixante auxquelles, probablement vous faites une si charmante allusion… (tout comme chez Lucien Suel, il y a ce même matériel ici aussi mais dont j’use bien rarement…)
J’aime beaucoup cette image … elle permet de partir d’un bon pas dans le lendemain. C’est l’inverse, en miroir, de faire son lit soigneusement pour le retrouver le soir et rêver dans des draps frais.