le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Dans leur 700e numéro (mai 2014) les Cahiers du cinéma collectionnent les émotions qui nous hantent. Ils en publient 140 qu’ils ont sollicitées, de gens de cinéma mais aussi d’écrivains (celle de François Bon par exemple). L’éditorial invite lectrices et lecteurs à jouer le jeu – et Pierre Ménard sur son blog Liminaire l’a magnifiquement fait – alors j’y vais très modestement de la mienne, dont je me souviens vous avoir déjà touché un mot (c’était en 2008 : ce qui est bien le signe qu’elle me hante).
Dans la cabine il y a Michele, petit, transi (il a eu tellement peur de sauter) et sa mère qui le frictionne, frotte fort, fort comme si leurs deux vies en dépendaient, frotte à décaper la peau et le cuir chevelu du garçon, et à en esquinter la serviette ; et puis la caméra prend du recul en même temps qu’elle s’élève et, dans toutes les cabines autour de celle des Apicella, découvre un fils et sa mère qui le frictionne et frotte aussi fort que celle de Michele ; le plan s’élargit encore, jusqu’aux vestiaires collectifs et là, d’autres fils et d’autres mères livrés aux mêmes angoisses. Et c’est l’essence même de la relation des mères et de leurs fils que Nanni Moretti révèle. Les cabines et les vestiaires sont à ciel ouvert, les mères peuvent bien frotter (et j’ai frictionné les têtes et les dos de mes fils comme cela à la piscine municipale combien de samedis matins ?), les fils un jour auront froid au dos et à la tête, les fils un jour oublieront tout, comme Michele. D’ailleurs Freud nous l’a bien dit : faites, faites tout ce que vous voulez, mais quoique vous fassiez cela ne suffira pas. Je ne peux plus nager une longueur dans une piscine sans être hantée/portée par l’énergie désespérée des mères de Palombella Rossa.