le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Soit l’avenue de l’Observatoire (Paris 6e arrondissement) et son habitat cossu. A l’abandon sur le trottoir au pied de l’un de ces immeubles pierre de taille, balcons de fer forgé filant en façade aux 2e et 5e étages, ces rebuts de savoir scientifique que l’on n’a pas pris le soin de trier. Les chemises cartonnées renferment encore leurs archives papier, les classeurs rigides leurs feuilles perforées. Des livres jetés là aussi et parmi eux des annuaires révolus de l’Ecole polytechnique qui disent assez que ce n’est pas du menu fretin que l’on bazarde ainsi.
Et puis ce tableau noir, non effacé, à la démonstration soumise aux passants, du moins à ceux précédant les Encombrants qui ne feront ni une ni deux et embarqueront le tout.
Je longe l’étalage de ces années d’exercice professionnel de haut vol, tombées bien bas, en regrettant de ne pouvoir sortir de ma poche un bâton de craie blanche pour, au moins, repasser sur les symboles qui s’estompent, à défaut d’être capable de pousser le raisonnement un peu plus loin (voire d’en corriger une étape s’il y avait lieu). Je ne suis pas L’employée aux écritures mathématiques.
M’étonne enfin, dans cette déconfiture algébrique, que personne là-haut ne se soit porté volontaire pour effacer le tableau, d’un coup d’éponge humide, même, si l’on n’avait pas sous la main l’un de ces beaux tampons aux bandes de feutre – ici pensée pour Joseph Beuys évidemment – serties dans leur support de bois verni, objets de tant de convoitise dans nos classes de prime jeunesse.
(cette idée de tout jeter quand la nécessité impose qu’on se sépare de ses choses – la mort ? sans doute – fait peine et indique délibérément où nous en sommes et à quoi nous sommes voués, nous autres, à présent – on dira peut-être que cela se passe avenue de l’Observatoire, beau quartier s’il en est, mais qu’est-ce que ça change ? Ca c’est Paris ?) j’ai pensé au films de Raoul Ruiz “L’hypothèse du tableau volé” vous vous souvenez ? (1979) aussi ésotérique que les restes de craies sur ce tableau (encore que je ne croie pas que ceux-ci soient d’un niveau supérieur en mathématiques) (ce que j’en dis…)
Le film de Raoul Ruiz, en effet, je me souvenais du titre (mais pas de l’avoir vu).
Einstein aurait souri de voir ainsi ce tableau sans présence humaine. Les chiffres encore tracés lui auraient peut-être paru également cabalistiques…
Je me suis toujours dit qu’un jour, sur les trottoirs parisiens, on verrait des SDF stationner, avec un numéro scotché sur le torse, et attendre le passage des “encombrants” en compagnie des matelas et vieux postes de télé.
Je vois d’ici le tableau : noir de chez noir.