le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Entre Cardinal Lemoine et Fossés-Saint-Bernard les démolitions continuent ; non contents d’avoir dépecé la garage, les bulls mordent maintenant à la marge, poussent le vide vers la Seine.
Approchez-vous que je vous montre quelque chose que j’ai remarqué hier, me rendant – à pied comme toujours – de la rive gauche à la rive droite pour assister au séminaire semestriel Pour une histoire politique des sciences qui se tient rue Malher. C’était la première séance : j’aurai donc un oeil hebdomadaire sur le chantier jusqu’à fin mai.
C’est cette petite bibliothèque nichée dans le mur de ce qui fût un appartement, premier ou deuxième étage (l’épaisseur du tas de gravats empêche qu’on en juge plus précisément) d’un immeuble sur cour, dont il ne reste que des pans de couleurs, peintures, papiers, carrelages. Logements comme cocons éventrés, superposés, alignés. Dominantes jaunes, dominantes bleues, des goûts et des couleurs. Si l’on s’est un jour cogné la tête contre ces murs, s’ils avaient des oreilles – “sonore, vous n’avez pas idée !” -, ou si faute de pouvoir les pousser on avait cherché plus grand ailleurs : ils en gardent le secret.
Toujours est-il que, le promoteur piaffant d’impatience, les derniers habitants sont partis, en laissant nichée dans le mur du séjour la bibliothèque. Les livres serrés dans quelques cartons pas trop volumineux, ou alors complétés par du poids plume, des coussins par exemple. Toujours pendre soin, quand on déménage, que les cartons soient manipulables.
Avant suspension dans le vide, la bibliothèque creusée dans le mur offrait à son propriétaire – ou locataire – quatre étages de rangement. De la distance à laquelle je me trouve, curiosité entravée par la clôture grillagée du chantier, je dirais une contenance par étage variant de 20-25 Pléiade à 40-45 livres de poche, en moyenne. Au mieux, 180 ouvrages. Sauf à être adepte de la double rangée de livres, auquel cas on pourrait atteindre les 360, avec le gros inconvénient que la moitié s’en trouvent invisibilisés et mal aisés à atteindre. Ce qui peut aussi être l’effet recherché par des bibliophiles honteux.
Je note encore que la profondeur perceptible de la niche, comme le bon espacement entre les trois planches et leur caractère massif que l’on devine encore, donnent à penser que l’on a pu, au moins au niveau inférieur, y entreposer des livres d’art de beaux formats ou des boîtes d’archives. Une capacité de stockage que l’on n’aura pas forcément retrouvée, prête à l’emploi, dans ses nouveaux murs. Un manque qui aura laissé quelques cartons fermés empilés dans un coin du nouveau séjour le temps que l’on y pallie par l’achat d’un meuble ou d’un dispositif d’étagères.
Car je n’imagine pas un seul instant que celle ou celui qui a vidé les quatre étages de la petite bibliothèque, ni d’ailleurs aucun des derniers occupants du pâté de maison mis à bas, reprenne possession des lieux à l’issue des travaux, livraison premier trimestre 2019, et y réaligne ses livres.
il me semble discerner sur le côté droit de cette rescapée (pour un tout petit temps, je le crains) quelque chose comme une sorte de trace d’un ancien meuble qui devait faire son pendant, qu’en dites-vous Employée ? (ou alors était-ce la trace d’une porte du dissimulait aux yeux des importuns trop curieux les divers ouvrages qu’on y posait ?) (l’hypothèse de la porte à la bibliothèque est assez discutable, je reconnais, mais je m’interroge sur cette trace, là, sur ce “petit pan de mur jaunâtre” voyez) (la bibliothèque me semble assez haut placée dans la pièce si j’en juge par ce que je perçois être l’emplacement du plancher…)
La hauteur de la bibliothèque ne me choque pas : les livres d’art en bas me semblent à portée de main. L’ombre pendante m’intrigue aussi et l’hypothèse porte, je l’ai, comme vous, envisagée mais éliminée comme peu probable – ou alors ce serait un coffre-fort et non plus une bibliothèque et je devrais tout reprendre à zéro ?
Je pencherais plutôt pour un placard, dont la porte a laissé une trace (j’ai connu ça dans un immeuble ancien du Marais). Merci pour le reportage !