le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Il y a des choses dont on croit qu’elles n’existent plus et puis un jour on les recroise, dans une vitrine ou ailleurs. Comme ce modèle de cendrier, encore en vente, sans prix affiché, dans une quincaillerie-droguerie du quartier. Je me souviens bien de ces cendriers : on appuyait sur le piston, une petite trappe s’actionnait et la cendre ou le mégot disparaissait au moins de la vue, de l’odeur peut-etre pas, dans le réceptacle. C’était un temps où les fumeurs étaient plus nombreux et plus gros (fumeurs) qu’aujourd’hui. Il y en avait même encore dans ma famille. Ce type de cendrier me semblait alors la perfection faite cendrier, prodige technologique (la pression générant un mouvement rotatif de l’opercule de fermeture) et comble de l’élégance, posé sur une table basse, à proximité d’un fauteuil et d’un porte-revues en fer forgé. S’il n’y en avait pas chez nous – je ne vois pas mon père escamoter de la sorte ses mégots de gitanes papiers maïs ou autres confectionnés maison – il y en avait un en usage pas bien loin. Mais dépourvu de toute inscription. Un modèle granité ton sur ton, sans fioritures, sans esprit. Encore heureux.
A vrai dire, autant que la résurgence de l’objet c’est aussi son message qui m’arrête. Je ne pensais pas non plus qu’il y eût encore, par les temps qui courent, un marché pour cette bêtise, raz de zinc ou de caniveau, là où finissent, crachés, les mégots. Que l’on produise de nos jours, en allant chercher un graphiste, cette horreur n’ayant pas même l’excuse de venir d’un siècle, le précédent, moins regardant sur les double sens. Mais aujourd’hui : espérer vendre ça ? A qui ? Pour offrir (avec un gros clin d’oeil) ou pour convenance personnelle ? Ce lundi, la boutique était fermée, impossible d’entrer, faire mine de m’y intéresser, m’enquérir du prix, soulever le cendrier en quête du tampon d’un lieu de fabrication et, malencontreusement le laisser tomber. Un accident est si vite arrivé.
Certains jours je me demande s’il existe encore des ramasse-miettes et des pinces à sucre. D’autres mécanismes que j’aimais bien actionner à la fin des repas de famille. Mais si c’est pour les retrouver réduits à dire des inepties dans une vitrine…
Vous attenteriez ainsi à la probité du commerce, Employée ? Mais il faudrait vous acquitter alors des (allez, ouvrons les paris) 25 euros demandés pour ce cendrier-poussoir (“évite les mauvaises odeurs de tabac froid” dit la vantardise réclamesque) (on remarque que les cigares sont proscrits) (le bicolore, quel bon aloi pour soutenir le slogan, non ?) (il n’y en avait pas chez moi, les Gitane paternelles étaient écrasées dans des cendriers de verre ouvragé (cristal sans doute offert en cadeau de mariage comme on faisait alors dans ces milieux) – ma mère aussi fumait des Gitane il me semble me souvenir du paquet rectangulaire bleu, la forme de la danseuse dans son ombre noire bras levé…)