le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Dans Liquide, le quatrième livre de Philippe Annocque (coup de chapeau en passant au beau discernement de Quidam Editeur) dont j’avais lu et bien apprécié déjà, Par temps clair, et suis toujours curieuse de lire derrière les hublots, ce n’est pas l’eau qui manque mais on ne peut pas dire pour autant que “ça baigne” pour celui assis sur le banc au bord du fleuve.
D’abord celui c’est qui ? Ni je, ni il, même pas une autre : sans personne grammaticale – belle performance de l’auteur – un personnage qui forcément n’a pas la vie ni l’identité faciles. Et si tous ses soucis venaient de là, qu’il n’y aurait jamais celui qu’on croit, à l’intérieur ? “On” : en fait, plutôt elles – une mère, une amante de jeunesse, une épouse de maturité et sa mère, donc une belle-mère, et les deux filles nées de l’union avec l’épouse – toutes à jeter leurs pavés dans la marre. Lui, bien éclaboussé, surtout par le dernier, lancé par l’épouse lasse, qui lui vaut sa longue pause méditative/rétrospective devant brindilles emportées au fil de l’eau.
Et les grandes eaux de sa vie d’entraîner ses pensées : eaux prometteuses des douches ludiques avec l’amante, eaux quotidiennes des vaisselles et des lessives sous le règne de l’épouse électro-ménagèrement conseillée par sa mère, eaux exceptionnelles et déconcertantes, échappées de la poche rompue trop tôt, prélude à la naissance de la fille aînée. Un peu de larmes, un peu de pluie.
Philippe Annocque propose un texte profondément original, dans sa présentation typographique même qui ne se “justifie” pas plus que celui qui procède à la relecture liquide, infiniment subtile, drolatique et grave, d’une vie qu’il n’a pas eu la présence d’esprit de mettre hors d’eau, comme on se dépêche de le faire quand on construit une maison – de préférence sur un vide comme le fait très justement remarquer le père.
A la lecture, en tout cas, Liquide, aucun doute, ça baigne.
Lecteur et commentateur régulier de l’Employée aux écritures, je ne vais pas faire comme si je n’avais pas vu ce billet ! Merci beaucoup, Martine ; et comme aujourd’hui je suis mal placé pour applaudir à l’essentiel de vos paroles (pardon, vos écritures), je renchérirai quand même à propos de Quidam – dont le catalogue est déjà sacrément joli ; ça fait plaisir d’en faire partie !
Cher Philippe, merci de passer la tête par le hublot – et je pense comme vous qu’il y a des catalogues dans lesquels on se sent bien.
Je n’ai pas lu le livre mais je peux en parler (à chacun son chevalier Bayard) : oeuvre profondément originale qui correspond en tous points (voire même en certains) à ce que le blog de l’auteur laisse apercevoir, entrevoir, surseoir et croire.
Un fleuve immatériel qui glisse entre les doigts – mais ne tombe pas des mains – un fluide que l’on ressent comme celui qui s’insinue à l’improviste en vous, décharge silencieuse d’électricité stridente, virevoltes surprenantes des mots comme des électrons qui finalement se dirigent vers l’embouchure rêvée…
Le taux de Ph. est élevé, les lignes fluctuent, nous emportent comme fêtus de paille ou dépouilles des grands torrents : on navigue à vue et au-delà.