L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

Des livres noyés

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Posted by ms on 1 juillet 2009 at 6:23

Dans l’exercice de ses fonctions, L’employée aux écritures lit en ce moment l’année 1773 du journal, joliment titré Mes Loisirs ou Journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connoissance que le libraire parisien Prosper Siméon Hardy a tenu de 1753 à 1789. Son manuscrit conservé par la Bibliothèque historique de la ville de Paris est en cours d’édition ; le volume 1 couvrant les années 1753-1770 est paru, le 2, 1771-1772 est sous presse, et nous (une équipe de l’IHMC sous la direction de Daniel Roche et une équipe de l’UQAM sous la direction de Pascal Bastien) préparons la suite. A terme, il y en aura 12.

Parvenue à la date du mercredi cinq mai 1773, je me suis bien amusée en y lisant cet événement ayant frappé, à juste titre, le libraire

Un particulier auteur fait jetter quatre crochetées de livres en feuilles dans la rivière. Ce jour vers trois heures après midi un particulier qu’on disoit se nommer Gibert vêtu d’un habit gris, étant arrivé à l’entrée du Quay de Conty suivi de quatre crocheteurs portant chacun leur charge de livres en feuilles, ordonne à ces crocheteurs de les jetter dans la rivière pardessus le parapet, ce qui s’exécute sur le champ au grand étonnement de tous ceux qui en sont témoins. Plusieurs personnes courent en battelet pour avoir des exemplaires du livre qui venoit d’être proscrit si singulièrement, et l’on apprend qu’il portoit pour titre ; Histoire de deux amans françois en prose et en vers La Haye – Paris chez Fétil l’un des douze libraires non jurés de l’Université, 1770. On prétendoit que le susdit particulier étoit auteur de cet ouvrage, et que comme il avoit eu quelque difficulté avec le libraire par rapport à son peu de débit, il avoit pris par une espèce de dépit le parti de l’anéantir totalement, de combien d’autres ouvrages n’étoit-il pas à désirer que les auteurs pussent se déterminer à débarrasser le public de la même manière ?

Quand on pense, 236 ans plus tard, à la somme des livres qui ne se vendent pas parce que leurs lecteurs potentiels n’ont pas le temps de les rencontrer sur les tables des librairies qu’ils ont déjà poussés par d’autres, on se dit que si leurs auteurs se dépitaient de la sorte le Zouave du pont de l’Alma n’aurait qu’à bien se tenir pour arriver à donner encore signe de vie.

Et lisant cela, je me souviens aussi d’un autre livre noyé, mais c’est une toute autre histoire.

Filed under du XVIIIe siècle
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7 Comments

  • On 1 juillet 2009 at 8:36 Bertrand said

    Un visionnaire, cet homme-là….Et nous serions presque en droit de regretter qu’il ait fait si peu d’émules…
    Amicalement

  • On 2 juillet 2009 at 15:42 Dominique Hasselmann said

    Quelle singulière anecdote que voici !

    On ignorait jusqu’ici que Gibert, qui fit et fait encore sa fortune dans la diffusion de livres neufs ou d’occasion à Paris (et la Seine se trouve à portée du lancer d’un in-quarto) exerçait déjà sa coupable industrie de cette manière pour le moins désinvolte.

    Il est vrai qu’il devait viser l’Académie, toute proche, dont les feux éclairaient nocturnement le quai Conti, fanal de ses ambitions cachées.

  • On 2 juillet 2009 at 22:22 PdB said

    Moi le quai Conti me fait penser à Modiano, Chasse Clou, lequel immédiatement, me ramène à Morabito (?), lequel rue de Castiglione épandait à qui voulait les acheter ses sacs et autres fioritures à pas moins de 5 chiffres en euros : je dénigre, certes, mais les agissements de cet auteur, qu’ont-ils, au fond, de si déshonorant ? (il s’agit d’honneur : tout à l’heure, à la terrasse, on m’informait justement : 23% des personnes interrogées (représentatives de la population française, tout ça au poil) indiquaient qu’elles avaient au moins une fois dans leur vie jeté un livre… Déclaratif, quand tu nous tiens sans doute, mais cependant, comment avouer un tel sacrilège (sinon sacrifice) ? Dure, comme la vie l’est…)

  • On 3 juillet 2009 at 19:17 cairo said

    Heureusement à quelques encablures, le Marquis d’Argenson veillait et deux exemplaires de l’ouvrage ont échappé au naufrage et se trouvent lisibles aujourd’hui en la Bibliothèque de l’Arsenal.Mais je me trompe peut-être et comme le titre n’est pas exactement le même …

    Titre(s) : Histoire de deux amants françois, écrites en vers et en prose [Texte imprimé]
    Publication : Amsterdam ; Paris : Fétil, 1770
    Description matérielle : In-8 °

    Exemplaire et cote (1)
    1 Arsenal – magasin
    8- BL- 22126 support : livre

    Notice bibliographique
    Type : texte imprimé, monographie
    Titre(s) : Histoire de deux amants françois, écrite en vers et en prose [Texte imprimé]
    Publication : Paris, 1770
    Description matérielle : In 8 °

    Notice n° : FRBNF39334262

    Exemplaire et cote (1)
    1 Arsenal – magasin
    8- BL- 15984 support : livre

  • On 3 juillet 2009 at 19:44 ms said

    Merci de ce professionnalisme, cher Cairo, je pense que c’est bien le même : le marquis d’Argenson les aura repêchés avec son épuisette et fait soigneusement sécher.
    L’almanach des muses, 1771 (Lib. of Congress aux bons soins de Google books) nous apprend à propos de cet insubmersible donc ouvrage : “Il se présente une difficulté en lisant cette brochure : on ne sait laquelle est la plus insipide de la poësie ou de la prose qu’on y trouve successivement : je crois cependant que ce sont les vers” (rapporté par Alain Pierrot : merci à lui)

  • On 3 juillet 2009 at 20:31 cairo said

    Merci à Alain Pierrot ; j’avais cherché en vain une critique . Les critiques de l’époque disaient leur fait avec vigueur et laconisme. J’ai cherché aussi un exemplaire numérisé. Point . Cela viendra sans doute.

  • On 3 juillet 2009 at 21:58 PdB said

    Je vais le dire ici : on ne parle pas (ici ou ailleurs, commentaires et commentateurs) pour ne rien dire… Cependant, c’est ce que je me permets de faire, en allant ici ou là… Ce qui m’interroge…
    Je regarde ces jours-ci, sur cette propension à commenter (ni n’importe quoi, ni n’importe où) tout en observant, par exemple, cet aspect de l’écriture qui consiste au premier vendredi du mois instauré, comme une galéjade, par François Bon : “les uns et les autres” enseignait (?) déjà Claude Lelouch et Francis Lai (était-ce Francis Lai, faudrait voir), moderne, actuel, évidemment, idéologique ? Je regarde plutôt aussi, de ma fenêtre, passer l’été. Amitiés à tous, et à apap en particulier.

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