le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Je rentrais de ce déplacement d’une semaine (dont je reparlerai avec quelques images bientôt) et dans mon métro ligne 12 – j’avais pris la 14 jusqu’à Madeleine, échappée de la gare de Lyon dès le milieu du quai par un escalier à hauteur de mon wagon m’évitant la traversée des halls encombrés – à Montparnasse Bienvenüe est montée une vieille dame élégante et bossue à la fois, joliment chignonnée, appuyée sur une canne en bambou.
Vêtue d’hiver encore, veste chamarrée sur longue jupe épaisse et sombre, gants noirs à étonnants revers motifs panthère : la main gauche, gantée, tenant serré le deuxième gant et les anses de trois petits sacs, deux en papier, le troisième en toile, posés sur ses genoux. L’autre main, nue donc, portait haut et droit, bien face à ses yeux, un mince folio à 2 euros. C’était Le réveillon du jeune tsar de Tolstoï, un texte que je ne connais pas.
Elle s’était assise en face de moi et je pensais qu’à ma place Cécile Portier lui aurait certainement demandé l’autorisation de photographier ses mains et Philippe Didion aurait été heureux de ne pas avoir à se contorsionner pour décrypter le titre du livre, généreusement offert à la vue.
Moi, infidèle à ma gare en ce samedi, j’aimais bien que cette lectrice un peu étrange ait surgi du Monde Montparnasse. Elle est descendue quatre stations et quatre pages plus loin, à Vaugirard, quand je continuais jusqu’à Corentin Celton.
c’est à ce genre de note rapide qu’on s’aperçoit de la magie de l’Internet – moi aussi en commençant de lire ai pensé aux photos de Cécile Portier
Cécile Portier par ailleurs auteur de Contact paru en 2008 dans la trop brève collection “Déplacement” (éd. du Seuil), sans doute en bonne place sur les tables de votre librairie, cher Habakuk
La 12 a quelque chose de pas mal, elle rapproche Pigalle (où elle croise la 2 chère à AS), Saint Lazare et prend la Madeleine, la Concorde, le boulevard Saint Germain, ce fameux faubourg, la rue du Bac, Raspail et Sèvres Babylone je crois, Rennes bizarrement fermée à certaines heures, et votre gare, elle condense en somme toute une vie parisienne, nocturne et historique. (En même temps, on pourrait en dire autant de presque toutes les lignes)
Cher PdB, vous ne voyagez pas souvent à bord de la 12 en soirée ou les dimanches et jours fériés : il y a déjà un certain temps que la station ne ferme plus à 20 h et ouvre tous les jours, mais je ne me risquerais pas à avancer une date, les années passent si vite !
La station Rennes a rejoint les horaires de ses consoeurs depuis exactement le lundi 6 septembre 2004…
Pour la dernière récalcitrante, Liège sur la ligne 13, elle est rentrée dans le rang le lundi 4 décembre 2006 !
@ Martine : c’est vrai que le temps passe vite !
Bien sûr ces mains liseuses semblaient tentantes, mais pour mon compte j’essaie de me tenir au principe de n’aborder que les mains désoeuvrées. Interrompre une lecture, c’est-à-dire une rencontre, tout ça pour imposer une autre rencontre, cela doit pouvoir se faire de temps en temps mais que si l’on est sûr de pouvoir offrir une surprise à la hauteur de ce qu’on force l’autre à abandonner. Si cette dame avait rendez-vous avec Tolstoï, je crois que je l’aurais laissée tranquille, même si à regret!
Vous, Martine, vous pensez à moi à propos des mains, moi je pense à vous à propos des sols, depuis que j’ai lu Montparnasse Monde ce qu’il y a sous mes pieds, les rainures, quadrillages et sutures me sont devenues sensibles.
Et ravie de savoir qu’Habakuk vient de temps en temps : beaucoup aimé Proférations sur l’état du monde.