le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Sur le trottoir de la rue Soufflot, côté des numéros impairs, à hauteur de l’antique pharmacie Lhopitallier – un décor qui lui allait comme un écrin – , j’ai croisé Fernando Pessoa. Il était 14h40 – j’ai regardé ma montre.
Fernando Pessoa, un peu vieilli mais toujours même chapeau, mêmes lunettes, même moustache, même manteau, et son mince cartable. La différence est qu’en ce lieu et à ce moment précis, 14h40 devant la pharmacie Lhopitallier, il tenait ce dernier par la poignée, lui causant un léger balancement, et non plus serré immobile sous son bras. Marchant du même pas, l’esprit occupé de ce qu’il écrirait tout à l’heure à Ophélia.
Fernando Pessoa, tel qu’en son éternelle intranquillité, mais en couleurs : son manteau est étonnamment bleu marine. Tant d’images de lui en homme gris, aux souliers noirs vernis, foulant les tout petits pavés carrés blancs de Lisbonne.
En y repensant, il me semble bien qu’il a renoncé au noeud papillon – seule infidélité concédée à lui-même.
Je ne sais pas où il avait laissé sa malle (et tous ceux qui grouillent enfermés à l’intérieur), mais je dirais bien à l’hôtel des Grands Hommes, parce qu’il faut bien un point de départ.
il semble que lorsqu’on croise ce genre de personne qu’on a toujours aimée, dès qu’on l’a connue, nous avons comme une difficulté insurmontable à l’aborder, ainsi se produisit une fois la fausse rencontre avec Eric Rohmer (il vit encore, certes : tout comme Gilles Vigneault que j’ai entendu hier chanter), non loin de votre rencontre avec Pessoa, au coin de la rue Saint Jacques, lui traversait vers le Luxembourg, je montais vers la banque, et rien (et aussi dire quoi : vous vous souvenez, le Genou de Claire ? ou La Femme de l’Aviateur, j’y étais silhouette…? bonjour monsieur Rohmer, ça va la vie ?)…
Ah mais non, le Genou de Claire, je n’étais pas né… Coquetterie, hein, non, c’est mon préféré, c’est tout, c’est pour lui dire… (d’ailleurs, je goûte moyennement son cinéma, je l’aime parce qu’il est franchement sympa, mais je ne veux pas non plus vous ennuyer puisque, vous…). Et c’est vrai (ça ne ternit rien) le croiser ainsi, mais exceptionnel pour exceptionnel, je m’étais naïvement imaginé que vous eussiez pu prendre un cliché…? avec votre nouvel appareil, là…? Un film et rien dessus ? :°)))
Je croise souvent des morts ou des absents, ce billet donc me parle. J’aime le détail du nœud papillon et l’idée d’une photo poliment demandée. L’homme, un peu surpris, mais néanmoins amusé, aurait acquiescé puis se serait hâté vers son rendez-vous du jour (là, peut-être http://aldus2006.typepad.fr/mon_weblog/2009/10/sgdl-le-droit-dauteur-en-question.html).
Et bien sûr, comme écrit PdB, en rentrant, l’image restituée aurait été vierge de toute figure humaine.
Employée (j’adore vous appeler ainsi, ce titre me fait le même effet que celui de Gilda, génial, l’autre jour “buller sur le boulevard”, je ne sais pas, il y a quelque chose de nous, là, devant nos machines, à nous entretenir sans trop savoir si nous serons lus, ou pas, ou mal, mais à faire quand même) Employée, donc, je tiens à vous dire que placer cette chronique sous l’égide de ce type que vous avez croisé est un vrai bienfait, une sorte de moteur au rêve, un onirique entraînement, enfin lorsque je le vois, oui, je me dis que cette Europe n’est pas tout à fait illusoire, un peu comme Borges est, à lui seul d’une certaine manière, américain. J’aime ça, je vous le dis, continuez à croiser ainsi des personnages incandescents, admirables et hautains, arrêtez-les, ou pas, mais continuez…