le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Dans la gare, il y a de l’électricité dans l’air, et pas seulement le vendredi soir. Mais bien peu de prises pour la capter. A dire vrai, je n’en vois même qu’une, au bas d’une colonne, hall Maine, au débouché des escalators. Prise solitaire et crasseuse, comme ses abords immédiats. Ce n’est pas beaucoup une seule prise pour une surface, un volume et un flux pareils. Et par l’effet bien connu qui retient le bras du goinfre de se saisir du dernier îlot de viande surnageant dans la sauce du plat (morceau qui regagnera la cuisine baptisé part du pauvre), personne ne l’utilise. Je n’ai jamais vu branché à la prise quelque appareil que ce soit, à l’usage du personnel de la gare ni des voyageurs. Personne n’ose. Ce ne sont pas les batteries à recharger qui manquent, pourtant, leurs sacs en sont même bardés, d’ordinateurs portables, de téléphones portables, de lecteurs MP3 et d’appareils photos numériques – sans parler des rasoirs et des sèche-cheveux – mais ils ont pris leurs précautions. Dans le Montparnasse Monde le courant passe, mais pas par la prise.
L’unique pilier prisophore de la gare, est un pilier à section carrée : un cas simple par rapport à tous ceux dressés dans les halls et – pire encore – sur les quais, dessinant au sol tout un éventail de figures géométriques connues, jusqu’au dodécagone pour le moins, et inconnues rebelles à toute esquisse de typologie. M’inquiétant de si la prise est bien reliée à la terre et si elle supporterait que l’on y branche, en cas de besoin, du gros électro-ménager (à supposer résolus les problèmes d’arrivées d’eau et de vidanges), je suis des yeux le pilier salvateur au plus profond de son enfoncement et, ce faisant, découvre que son fût passe par trois états successifs, mais toujours solides : béton lissé, béton brut et béton plaqué acier (comme on disait d’une montre ou d’une alliance qu’elle était plaquée or). La prise – un diamant vu sa rareté - est enchassée dans l’acier. La métamorphose entre le béton lisse et le béton brut, se dérobe à la vue sous une collerette griffée de piquots anti-pigeons et porteuse d’une applique lumineuse, tandis que le passage du béton brut au plaquage acier s’opère dans le plafond/plancher isolant le niveau Célio (de ma stratigraphie personnelle de la gare*) du niveau quais. Autant de subterfuges qui dispensent de parfaire les raccords.
* Voir Montparnasse Monde 17
devient un bijou (un peu baroque et inadmis, mais bijou tout de même)
Ces objets ont la malchance de la magie, je trouve : presque invisible, elle enregistre sans doute tous les passages devant elle, quelques caméras (2 je dirais) enregistrent aussi les allées et venues, un micro qu’il me semble apercevoir fait de même des sons des talons, des quelques mots échangés, cris chuchotements… tentant par là de capter une onde, une présence, un signe… Magie de la prise (de vue, de son) comme celle du défribrilateur et des autres petites machines (il en était une jaune, je me souviens, entre deux autres gris et las, hein ?), rares, esseulées et solitaires, cherchant quelque part, dans ce monde de gares, de passages, de courses, une âme soeur…
Hé, hé, nous savons désormais où brancher notre ordinateur en cas de batterie faible !
J’ignore ce qui est le plus curieux : qu’il y en ait une ou qu’il n’y en ait qu’une.
Me dis qu’il faudrait vérifier ce qu’il en est dans les autres gares.
Texte/prise qui pourrait s’insérer parfaitement (“enchassée dans l’acier” ?) dans Montparnasse monde, je trouve
J’y vois bien branchée une grosse machine industrielle pour nettoyer les sols dans la gare vide vers 3 heures du matin, non ? Mais non – problème de longueur de fil.
Prise de tête, sans doute : ne pas y fourrer ses cheveux qui en deviendraient électriques.
Les gares recèlent de ces mystères dont il est impossible de jouer l’ordonnateur si l’on manque de la force motrice.