le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Parfois dans la gare les règles du jeu changent et c’est à chacun de s’en apercevoir et d’en tirer les conséquences pour ce qui le concerne. Ainsi de la soudaine matérialisation sur le sol du quai desservant les voies 10 et 11 (la voie 10 se caractérisant par une certaine polyvalence*) d’un espace que nul ne peut plus ignorer constituer la RESERVE TONNES A EAU TRANSILIENS / TER CENTRE – même lorsque aucune tonne n’y stationne. Comme ce 1er janvier 2010 en soirée (de ma banlieue morte m’attire jusqu’à Montparnasse la recherche d’un kiosque ouvert) quand me saute aux yeux l’inscription sur fond de hachures encore vierge de tout piétinement et contrastée au mieux de la palette disponible chez le sous-traitant en charge des peintures de signalétique de service. Ils sont partis du principe que ceux des Transiliens et ceux de la région Centre arriveraient à faire bon ménage sur ce bout de quai, repoussé loin au niveau des voitures de têtes, pour y stocker leurs bidons. Pour l’heure, ce jour férié ouvrant l’année, les réserves sont à sec, mais encore peu familiers du marquage, avons nous le droit d’y poser pied ? Le sol de la gare un peu comme une marelle, son enfer, son ciel.
Souvenir de gare. C’est un samedi en début d’après-midi, dans la foule qui descend de ces trains tellement pleins amenant les banlieusards faire leurs courses, ou faire semblant de, on n’en sait trop rien, ils ne repartent jamais tous ensemble comme ils arrivent à 14 heures et on ne peut donc juger de la somme des paquets qu’ils transportent dans l’autre sens. J’essaie de me faufiler, d’échapper à la lenteur qui naît du nombre et suis arrêtée par les pas d’un homme qui titube, un enfant lui tenant la main de chaque côté, bras un peu décollés du corps, une fille et un garçon, 8 à 10 ans peut-être, graves mais sereins. Le caractère erratique de leur marche dessine une clairière autour d’eux dans la foule. A leur approche, on ralentit, on s’écarte, on regarde les deux enfants, visiblement habitués à stabiliser l’homme – sans aucun doute leur père. J’ai déjà entendu parler de cette maladie qui donne à la marche tous les signes de celle propre aux états d’ivresse ; je pense que l’homme en est atteint, que le calme des enfants ne saurait s’expliquer autrement. Mais personne n’ose les interroger. Persistance de l’image du trio chancelant, dans cette sorte de halo de jour trouant la foule sombre, sûre d’elle.
* Voir Montparnasse Monde 23
“la foule sombre, sûre d’elle”, l’image est nette dans nos esprits, autant du trio que des figures autour
Vous observez avec perspicacité ces signaux horizontaux sur le sol des gares (je me suis amusé une fois à suivre, en mini-vidéo, ces sortes de rails à la gare de l’Est, avec des valises à roulettes comme wagons dessus…), et c’est vrai que la SNCF en fait parfois des tonnes !
Son PDG doit réfléchir à la formule qui l’enverra un jour au terminus.
“une clairière autour d’eux dans la foule” (qui, pour chacun d’eux, de nous, ne signifie pas forcément la même chose)
Comme la scène est bien donnée ! Peu de mots et tout y est.