le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Subrepticement, par endroit, le sol des quais se dérobe. Que l’on y marche seul l’esprit occupé de tout ce qu’il y aurait à écrire, à montrer, de cette gare, si le temps ne pressait pas tant, ou bien à deux, emportés par l’élan de la conversation, et l’on aurait tôt fait d’être entraîné par la pente insensible. Plan incliné qui incline à le suivre. Au risque de s’abstraire, par enfouissement progressif, du flux des voyageurs attentifs à atteindre au plus vite une issue praticable, continuant leur marche à niveau constant, yeux et cerveaux aimantés par l’acier des escalators. Flux cumulant par ondulations successives les vagues de voyageurs libérées porte après porte en une mécanique parfaite - (couches de laves coulant ensemble superposées sans se recouvrir tout à fait à flanc de volcan). La pente trompe son monde : douce mais inflexible à l’extrême. Le distrait et les bavards briseront leur élan contre une entrée interdite au public, encore que dénuée de toute matérialité, juste signifiée par un panneau rond à silhouette de piéton barrée d’un trait rouge et tout le monde comprend ; souffles retenus, pas suspendus. La séparation d’avec le Montparnasse monde souterrain, ses mystères et ses affres, a beau ne s’encombrer d’aucune barrière physique, qu’Euridyce s’y égare et Orphée ne la retrouvera jamais.
Scène de gare. Sa petite valise à roulettes noire reste dressée, sans surveillance, devant le Relay face à la voie 12, le temps d’aller chercher un quotidien sportif et une barre chocolatée crantée en triangles, ce qui devrait, théoriquement, ne pas être bien long ; d’ailleurs l’insouciant file décidé, monnaies en main. Mais des deux caisses ouvertes, chacune trois, quatre clients en attente, il a choisi la plus lente. Devant lui, traînaille un paiement de livre tout venant par carte bleue d’abord muette – sa propriétaire, je l’avais entendue dire à la copine à qui elle confiait sac m’as-tu-vu et laisse terminée par une bestiole antipathique assortie : “attends je vais me chercher une connerie à lire dans le train” et j’avais pensé qu’elle n’aurait que l’embarras du choix -, suit la réclamation véhémente d’un sac concédé, de mauvaise grâce, à une hypocondriaque qui veut y ranger ses deux magazines santé, ses pastilles vichy et son flacon de gel mains antibactériens, et passe encore avant lui une excentrique brouillée avec sa droite et sa gauche, en quête du dernier numéro, un peu caché, de La quinzaine littéraire vers lequel l’homme du Relay, de sa caisse, la téléguide laborieusement. L’achat de son quotidien sportif et de son encas s’éternisant, reste à savoir si la voix féminine exaspérée de la gare aura la patience d’attendre le retour du propriétaire de la petite valise à roulettes noire laissée sans surveillance devant le Relay face à la voie 12.
et si elle y était encore ?
pauvre dame au chien (me console que je ne suis pas seule à trancher à partir de détails)
ouille ! de voir que je ne suis, ou me console que je ne sois
C’est drôlement bien croqué !
Tenez, Employée, ici :
http://killthatmarquise.wordpress.com/
feuilleton quotidien comme au temps de Sue mais internautique, la fameuse Emma se voit filmée par les caméras de surveillance de monde montparnassique, je me suis dit qu’il fallait rendre aux Ecritures ce qui appartient à l’Employée …
‘videmment, mais à vous plus particulièrement aussi… (y’avait cette chanson “N’appartiens jamais à personne” du musculeux Bernard, que vous aimez bien je crois ? ou je délire…?)
J’aime tes billets tryptiques : une séquence topographique, une photo puis une scène de la gare en vie.
Régal.
Merci (encore et toujours). Au risque de me répéter : je ne vois plus la gare de la même façon, cette gare de béton que je trouvais sans âme, et comme j’y passe souvent puisque mon café-resto-refuge est tout près …