le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Ces jours où je ne perçois plus de la gare que son usure et sa crasse : la grande contrariété et le découragement insondable qui me saisissent. Privent ma marche de tout allant, me feraient fermer les yeux, m’agripper désespérément aux voies toutes tracées du cheminement aveugles. Salissures épaisses et sombres insinuées dans la moindre fissure, agglomérées dans chaque encoignure, qui condamnent la gare à broyer du noir. Gangues grasses capteuses de peluches de poussières enrobant chaque picot repousse-pigeons. Déchets, à trier, essaimés entre les traverses : restes de pizza à pâte trop épaisse, récurée de sa garniture, sur laquelle on a calé, barquettes à frites maculées ketchup déchiquetées, bouteilles de sodas, canettes 8° au moins et, spécifiques à la voie 24 en partie découverte, ces balles de tennis propulsées depuis le jardin Atlantique. D’autres reliefs plus douteux, moins immédiatement lisibles, qu’on ne décryptera pas. S’y mettre tous ensemble un dimanche à ramasser, comme on ferait d’un coin de forêt ou des bords d’un bras de rivière délaissés : je n’imagine pas.
Leur souci visible de propreté, pourtant, à l’égard des trains de banlieue schampouinés chacun son tour, un peu plus loin, au-delà du parking aux locomotives. Au niveau de l’ancienne gare Ouest Ceinture – un coquet pavillon de briques, discrètement Mansard, où les trains ne marquent plus l’arrêt depuis l’irruption du TGV dans le monde Montparnasse -, au droit de l’étrange édifice porteur d’un semblant de phare. L’entrepôt du marchand de poissons bon marché de la rue Castagnary, XVe arrondissement, longé par ces voies soustrayant les trains à leur cadencement le temps d’être lavés à grande eau. Les entrailles au jet – même les rognures d’ongles extirpées et toutes dégoulinures estompées – et la carapace léchée par le rouleau brosse en portique. Petites silhouettes jaunes qui s’activent au toilettage, bottes, cirés, chapeaux, balais. Et le séchage des trains, après, toutes portes vis à vis grandes ouvertes, pour l’appel d’air. Sourde inquiétude qui naît de cet excès d’aération : sûr qu’on en tomberait, de cette dentelle de train, si elle venait à s’ébranler. Trains transpercés de jours à l’image insaisissable, pas faute d’avoir essayé, mais toujours de mon propre Transilien déjà (ou encore) lancé bien trop vite.
On se demande (parfois) si c’est bien le voyage qui porte avec lui cette crasse qu’on retrouve dans toutes les gares (sauf en Suisse, et même, un peu…) : la suie, la chaleur, le bruit qui trouve dans cette poussière agglomérée une oreille attentive et jalouse ? Ce qui choque peut-être c’est qu’elle n’est pas si vieille, votre gare : la toilette qu’a subie celle du Nord, avec son TGV aussi…
En tout cas, le temps où l’entrepôt Castagnary “bon marché”, qui me fait un peu penser à cet immeuble des Emmaüs coloré d’Austerlitz, je crois, à peu près à la même distance, c’était dans les années 70 où avec la 4L rouge, on allait chercher des écrevisses pour les faire à la sauce d’Armorique, avec les mômes tout petits des voisins de Faidherbe
“l’ancienne gare Ouest Ceinture”. Toujours un regard pour elle au passage.
C’est l’humain qui salit le plus : comment s’en débarrasser ? Les trains ont servi aussi à ça. L’escarbille dans l’oeil avant la dernière rampe.
Le commentaire de Dominique comme un uppercut.
Ce que je suis venue dire là : que je viens de lire, Martine, votre lien dans TL (intermittences annoncées) : Tumulte “Profession arrangeur de monde”.
Une belle rencontre de cette page de Tumulte et du feuilleton du samedi.
Michèle, puisque tout se tient, ajoutons le ici aussi ce lien
http://www.tierslivre.net/livres/tumulte/spip.php?article439