le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Dans le 27, sur une fraction du parcours Feuillantines/Nationale, devant moi une dame chignonnée grisonnante parle avec sa voisine à la silhouette plus jeune. Deux ex-collègues je le comprends vite, la plus âgée à la retraite, depuis plusieurs années, et la plus jeune toujours en activité dans la même administration.
Elles se sont rencontrées par hasard dans le 27 et en sont heureuses, surtout la retraitée, mais très vite leur conversation tourne à la rubrique nécrologique. Toutes celles et ceux qu’elles ont connus – qui au Service juridique, qui aux Affaires générales, etc – morts, de maladie le plus souvent, prématurément ces dernières années. Elles font le tour des bureaux et cela fait du monde. Elles s’en affligent, il y a de quoi, et cherchent longtemps, mais en vain, le vrai nom de “celle que tout le monde appelait Mickey”. De toutes ces morts de collègues, elles disent bien « sans avoir pu profiter de leur retraite ».
C’est ici que je digresse. Pour souligner par temps gros d’une réforme des retraites dont on ne veut pas – pas de cette injustice, alors qu’il y faudrait du discernement face à nos usures inégales, ni de cette morgue – le leurre de l’argument démographique appuyé sur l’allongement de l’espérance de vie. Parce que celle qui a considérablement crû, c’est l’espérance de vie à la naissance (du fait de l’heureuse chute de la mortalité infantile), pas celle qui reste quand on atteint les 60 ou 70 ans ; parvenus là, les gains sont quasiment stable depuis 1950. Il suffit d’ailleurs d’avoir passé le demi-siècle pour éprouver combien les rangs de celles et ceux avec qui l’on a un temps travaillé, ici ou là, ont vite fait de commencer à se clairsemer.
Je reviens dans le 27. Les deux dames aimeraient aussi se dire des choses plus gaies, prendre le temps, déjeuner ensemble, elles se le promettent : l’active à l’agenda plus rempli se chargera de proposer bientôt une date. Après l’été néanmoins. Place d’Italie, la travailleuse descend du bus, il est près de 14h, elle reprend.
Ensuite, il y a ce geste inabouti qu’a eu celle restée dans le bus, rendue à son inactivité et à sa solitude, douloureusement ressenti comme si je l’avais fait moi-même. Quelques secondes qui m’ont paru infinies mais, en fait, juste le temps que le 27 redémarre et reprenne un peu de vitesse, elle s’est figée, tournée souriante vers la vitre, la main en l’air prête à adresser encore un au revoir. Sûre que son signe serait reçu, trouverait sa destinataire.
Il aurait suffit que celle hors du bus, filant droit devant elle, ralentisse un peu sa marche et se retourne. Elle ne l’a pas fait. Attente trompée. Lisibles, le renoncement et le dépit de l’autre, dans l’extinction amère du sourire et la main, levée pour rien, qui se repose sur un sac. Incertaine maintenant quant au déjeuner de septembre.
Une anecdote qui en dit long, en effet.
Il semble que le plan “on gagne chaque année un trimestre d’espérance de vie” (c’est pas mal, déjà, comme expression “espérance de vie” hein…) soit complètement foireux, et ne convienne qu’aux abrutis qui tentent de cacher qu’ils veulent privatiser les retraites comme la sécurité sociale et l’éducation nationale (mais garder les prisons éhontément surpeuplées et virer le plus d’infirmières possibles -j’en passe- : on disait il y a quelques années que nous avions , en France, la droite la plus bête du monde : c’est encore vrai, mais en plus elle est voleuse et prévaricatrice) (je digresse aussi) (je ne suis pas sûr que le repas de septembre soit annulé – et s’il l’est, ce sera peut-être mieux) (enfin je positive)(je vous trouve assez indiscrète, Employée)(en même temps, vous n’avez pas fait de photo : dommage, je vous aurais bien affublée d’un paparazza qui vous aurait été seyant – je ne sait pas comment on dit “qui vous aurait sied” ou quoi ?)
merci à tous les trois pour vos lectures et à Alain pour nous remettre dans le droit chemin de la délicate conjugaison du verbe seoir. En tout cas, je n’aurais sûrement pas gagné ma vie comme paparazza, puisque je ne capture jamais personne sur mes photos (pas comme PdB : le plus indiscret des 2 n’est pas celle qu’on pense qui se contente d’écouter). Quant à être Papagena, je ne chante pas assez bien.
ah oui… Or donc :
“qui vous aurait si parfaitement sis, Employée aux écoutes autobusiesques”
Pas mal… (c’est vrai l’indiscrétion fait aussi partie du métier, mais vous comme moi, je pense, nous la pratiquons avec tact…) (merci apap)
j’aime beaucoup, toutes ces vies minuscules …et ces observateurs humbles et dépositaires que nous sommes . A bientôt