le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Je n’aurais pas cru : à ce point pareil à ceux qui ne parvenaient pas à tuer l’ennui des vacances d’enfance – mais il faut dire qu’ils étaient plus petits. Un canevas paysager, bien assorti à la saison estivale et à ses villégiatures, avec en marge le nuancier de toutes ses couleurs. Qu’on l’achète et dépendu de la vitrine, posé à plat sur le comptoir, la marchande mercière s’empressera d’aligner horizontalement les écheveaux de fils (sortis de ses petits tiroirs plats) à côté des rectangles modèles, à la recherche de la teinte la plus proche ; il n’y a pas de repérage par numéro de bain. Pas moins de vingt coloris pour rendre au mieux ce rivage breton, ce qui en augmentera le prix. Trame dont les petits trous sont à remplir au demi-point de croix, ce qui prendra un certain temps et fera enfiler beaucoup d’aiguillées, extrémité des fils suçotée pour en unir les brins qui s’éparpilleraient au moment de passer par le chas de l’aiguille. Puis faire autant de noeuds, roulotés du bout des doigts, pour les arrêter quand les teintes nombreuses s’entremêlent, comme au massif d’hortensias ou dans le bleu des flots bleus d’avant les algues vertes.
Je me demande quels autres objets témoins d’enfance ont aussi peu changé, en près d’un demi-siècle, que le canevas Royal Paris, made in France, auquel, même en cherchant bien on ne trouve aucun code barre, juste un copyright pour le dessin “original” (à la manufacture royale des Gobelins, on aurait dit le carton) comme si sa production avait résisté non seulement aux années, mais encore à toutes formes de certifications.
Le canevas, il lui suffit toujours d’être imprimé et d’occuper son monde pour exister.
(Enrouler sa toile, avec tous les écheveaux à l’intérieur, dans un torchon propre entre deux séances.)
Comme quoi il arrive au temps d’oublier de passer.
Ben zut alors, moi qui avais compté les canevas dans ma liste des objets disparus à chroniquer à la machine, si la disparition disparaît, il ne va plus rien me rester ! Merci d’avoir prévenu.
(ou alors je vais changer le titre et ça sera “objets que je croyais disparus mais peut-être pas” – ça marche moins bien -).
J’aime bien comme tu racontes le choix des couleurs, je ne m’en souvenais pas. Je ne sais plus trop où ma mère achetait ses fils. En revanche que le seul et unique que j’ai mené à bien enfant représentait un petit veau (?) … et beaucoup de patience pour moi.