le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
C’était en rentrant de la Fête de l’Huma dimanche soir, et c’en était d’autant plus incongru qu’on sait bien que la propriété c’est le vol.
Ligne 9, direction Pont de Sèvres (variante de mon itinéraire, passant par Billancourt pour rester dans l’ambiance) sur la portion 16e arrondissement du parcours, dans mon wagon, je voisinais, debout, avec deux femmes, franchement septuagénaires mais il fallait bien regarder pour s’en apercevoir tant leurs mises et apprêts cosmétiques gommaient d’éventuels outrages, assises sur deux strapontins.
D’évidence, deux veuves amies qui rentraient, elles, non pas de La Courneuve mais d’un spectacle parisien donné en matinée, probablement suivi d’une longue station salon de thé avec macarons de qualité. Petits plaisirs du dimanche que leur permettaient des pensions de réversion qu’on imaginait confortables.
Entre Franklin D. Roosevelt, où elles étaient montées ensemble, et Ranelagh puis Jasmin où elles sont successivement descendues, elles n’ont pas cessé d’échanger, suffisamment fort pour que j’en profite, les propos les plus ahurissants et décomplexés sur la transmission des patrimoines aux enfants – patrimoines qui, dans leur cas comportaient au moins un appartement dans le 16e et une – voire plusieurs – résidence secondaire.
Leitmotiv : même sous prétexte de réduire son impôt sur la fortune, ne surtout pas faire n’importe quoi. Donc, malgré les conditions apparemment avantageuses, y aller mollo avec les donations anticipées aux enfants. Parce qu’on ne sait jamais : que les fils meurent prématurément et on se retrouve avec des belles-filles qui font la noce – pouvant même aller jusqu’à se remarier -, et dilapident gaiement votre bien sous vos yeux… Elles n’avaient que des fils, ou bien avaient intériorisé à ce point la loi salique que leurs filles comptaient pour du beurre.
Pas question de lâcher le magot maintenant, et ce d’autant moins qu’elles avaient encore 30 ans d’espérance de vie devant elles – elles disaient cela aussi – et donc tout le temps d’en jouir herselves de leurs fortunes et pas l’intention de s’en priver…
Additif : me suis souvenue dans la journée que comme historienne, j’avais été invitée à conclure un colloque sur le thème “Veufs, veuves et veuvage dans la France d’Ancien Régime” à Poitiers en 1998, dont les actes ont été publiés chez Champion (mais sans ma conclusion, jamais écrite)
c’est vrai que parfois le métro est très mal fréquenté…
En revanche parfois certaines gens sont à connaître : lisez l’article sur une Marie Pezé dans le monde d’hier -enfin daté d’aujourd’hui-, il vous faudrait la rencontrer, je crois…
et puis pour le billet de la fête de l’Huma, le plan de la carpe m’a bien fait rir : ça aide… mais sinon, je ne maîtrise rien, mais ça va; à bientôt
Les veuves joyeuses dans le 16e, normal. Vous ne nous dites pas si elles arboraient un bouclier fiscal au-dessus de leurs atours. Etonnant quand même qu’elle n’empruntent pas un taxi, c’est moins dangereux. Mais en même temps, quelques odeurs prolétariennes et le frisson de l’inconnu, ça donne du piment à la sortie…
Bonjour Martine,
Ce qui m’épate, toujours, c’est leur franche vulgarité : elles n’ont peur de rien ! Les fistons, dans leur dos, doivent être en train de leur concocter quelque macaron empoisonné, on suppose…
oui Anne, justement j’imaginais les belles filles leur présentant des plateaux de petits fours, comme chez Cortazar (dans “Les armes secrètes” je crois, mais je ne sais plus le titre de la nouvelle et je ne peux pas vérifier juste maintenant), cette fiancée qui confectionne des bonbons qui régalent tout le monde mais dans lesquels elle malaxe des cafards et autres bestioles du même genre…
Dominique, ce qui était stupéfiant, c’est qu’elles étaient AUSSI complètement chez elles dans le métro, se l’étant totalement approprié (comme le reste !)
PdB, j’ai lu et j’avais aussi vu le film tiré de son livre au très beau titre “ils ne tombaient pas tous, mais tous étaient frappés” – film qui m’avait légèrement déçu, mais je ne sais plus exactement en quoi ; courage pour tout
C’est ça l’écriture : des photos instantanées au quotidien des jours.
Ici, photo de la vulgarité.
On dirait des rombières du XIXème.
Je pense aux salauds dans la diligence, avec Boule de Suif.
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