le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Exercice de gare : détacher les yeux du sol, lever la tête et constater à quel point les plafonds sont composites, mal raccordés. Vagues déferlantes de béton sur le hall Maine, mais le souffle océanique escompté n’y est pas – comme la porte voulue Océane ne trompe personne. Béton, uni, tranché de poutres ou caissonné, alternant avec verrières ou claires-voies déversant la lumière du jour. Fine coulée de ciel ouvert, juste un rai, sur la voie 1, celle aux butoirs repoussés par l’escalier et, à l’exact opposé, bordure de toile blanche festonnée couvrant à demi la voie 24, aux fins d’évacuer les exhalaisons des diesels quand il s’en rangeait docilement là. Vastes toiles encore, tendues façon chapiteau, enveloppant le hall Pasteur et les deux bosses qu’elles élèvent au jardin Atlantique. Interstices grillagés : arrêter les oiseau, mais l’eau passe.
Les jours de très fortes pluies, les espaces glissants condamnés par le déploiement de ces minces banderoles plastiques striées bicolores, rouge/blanc. Sévérité de la mise en garde accentuée par l’effet de clignotement produit par le jeu des courants d’air. Même le large escalier central d’accès aux voies 10 à 17, banlieue, susceptible d’être condamné : sujet aux fuites sous des jointures verrière/béton défaillantes. Principe de précaution : qu’un usager fracturé ne vienne pas se plaindre. Périmètre de sécurité pareillement tracé autour de la malheureuse valise laissée sans surveillance – en plein milieu, le temps d’un achat au relay, par un insouciant – qui ne veut de mal à personne, mais la voix féminine exaspérée, toujours au bord de la crise de nerfs, qui somme son propriétaire de la récupérer d’urgence, AVANT DESTRUCTION, n’en sait rien.
Sur les chantiers, les ” minces banderoles plastiques striées bicolores, rouge/blanc” sont connues sous le nom de rubalise…
Je suis, devant “Montparnasse Monde”, le “feuilleton du samedi”, dans cette même jubilation que provoque le chantier ouvert par François Bon, avec son livre “Paysage fer”, qui partage avec les travaux des géographes contemporains la question de la “cinétique perceptive”, écrit Dominique Viart dans son Etude de l’oeuvre de François Bon.
Alors que l’ethnologue du contemporain, Marc Augé, pense comme “non-lieux” les espaces destinés à la circulation, gares, aéroports, autoroutes, centres commerciaux, stades, trains, autobus, avions, chambres d’hôtel standardisées, qui ne peuvent être investis par celui qui ne fait que les traverser, François Bon considère au contraire que de tels espaces peuvent être les lieux d’un “avoir lieu”, d’une expérience singulière, parfois particulièrement intime ou décisive.
Avec le géographe urbaniste Michel Lussault attentif à Perec, à la littérature et aux questions de l’énonciation de l’espace (pour que l’espace existe il faut qu’il soit racontable), François Bon pense ces espaces comme des “hyper-lieux” où l’existence manifeste sa résistance en détournant la standardisation inhumaine pour y construire ses expériences propres.
Je me rappelle, Martine, que vous vous interrogiez, non pas bien sûr sur la pertinence de ce feuilleton, mais sur le traitement par l’écriture des montagnes de vos notes, accumulées dans la fréquentation quotidienne de la gare Montparnasse.
On y est, dans ce “Montparnasse Monde”, et c’est une belle réussite.
Je suis bien d ‘accord avec Michèle Pambrun (ce qui n’est pas rare…!) : le feuilleton est très bien, et j’adore les vagues de tissu, comme avant goût de l’océan (en même temps, de cette gare, je ne suis jamais allé plus loin que Le Mans où, d’ailleurs, on retrouverait le même gimmick de voilures en toit, tout ça : j’aime assez en même temps, même s’il ne s’agit que de rideaux); pour ce qui est des non-lieux, cependant, j’aurais tendance à discuter le coup : les gares, les voyages (je discutais tout à l’heure avec mon frère de la naissance des salles de cinéma dans les ports de France -Marseille, Bordeaux, le Havre… dans la fin des années 1890-, d’abord, parce qu’on voulait, et qu’on veut toujours, je pense, voir ailleurs, où vont les bateaux, les trains, savoir ce qui se trame ailleurs, de l’autre côté…), les passages, les traits d’union, sans doute investis mais quittés, ce qui les qualifient, je crois, sans les faire (trop) exister, j’y trouve plutôt des endroits sans envers, voilà… mais je me trompe aussi, ça n’a pas d’importance sinon qu’il s’agit de mon point de vue, et c’est tout, tout comme celui du haut de l’escalator, ces vagues qui vous mènent, Martine, vers votre rue…
Merci Philippe pour ta contribution à l’extension de mon vocabulaire technique.
Et merci à vous tous de suivre ce feuilleton sur lequel je continue à me poser des questions…
…et que nous continuons à suivre avec le même intérêt. Tout à fait d’accord avec Michèle Pambrun moi aussi.