le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Quand j’en aurai soupé de toutes mes allées et venues dans la gare, le matin dans un sens, le soir dans l’autre, j’irai m’affaler dans l’un des deux fauteuils du salon aménagé en vitrine du magasin Pier Import ; mes affaires jetées sur la table basse, je vous regarderai passer. Vous serez ma télévision. La fatigue vient, je le sens bien. Tellement d’années de pratique. A une époque, le magasin m’a servi de raccourci pour entrer dans ou sortir de la gare, mais un jour compression de personnel, fermeture de caisses, et l’axe de traversée pour sortie discrète sans achat a perdu tout son intérêt. Un raccourci qui vous gagnait quoi ? à peine une minute ? encore fallait-il supporter la vue de leur bimbeloterie exotique, fauteuils et autre meubles tout rotin forcément lascifs, coussins et poufs habillés coton des Indes, crument éclairés néon. A bien y réfléchir, longer leur salon aux bras de fauteuils tendus vers nous – comme l’offrande d’un répit toujours possible – nous fait peut-être autant de bien que la minute gagnée autrefois à traverser leurs rayons. On en faisait quoi d’ailleurs de cette minute une fois sortis de la gare, fiers de notre combine comme s’il y avait de quoi ?
Dans la gare et à ses abords, je respecte autant qu’il m’est posssible toutes les consignes visant à nous rendre ATTENTIFS ENSEMBLE, sauf que je n’étiquette jamais mes bagages ; un seul en principe, arrimé à mon dos, ce qui me permet de ne jamais le lâcher et encore moins de m’en éloigner. Une idée qui ne me viendrait même pas. Attentive ensemble, donc, mais sans trop aimer, pour autant, croiser ceux sur le pied de guerre. En patrouille, par trois, par quatre ou par cinq, pas vraiment rangés ni au pas, ensemble et dispersés à la fois, scrutateurs, se parlant entre eux et à leurs outils de transmission sophistiqués sans doute mais crachotants ; mitraillettes au côté, fûts pointés vers le sol. Porteurs de rangers aux pieds, de bérêts sur têtes rases et de treillis ; tenue de camouflage peut-être efficiente – et encore, à la seule saison des feuilles jaunissantes – pour leurs éventuelles incursions au Jardin Atlantique mais qui perd toute pertinence au milieu de la foule des usagers. Où, accoutrés de la sorte, l’on ne voit plus qu’eux. S’il faut vraiment nous confier à des anges gardiens le temps de notre traversée du Montparnasse monde, j’aimerais beaucoup mieux qu’ils aillent nous les chercher chez Wim Wenders.
Oh, les anges de Wim, combien ils nous manquent parfois
(les vrais bien sûr, pas les faux gardiens mal camouflés dont il est question là).
J’aime infiniment le “fier de notre combine comme s’il y avait de quoi”
Bonsoir Martine,
La description des militaires, vraiment, on ne saurait dire mieux…
A bientôt,
Anne
(dans le Montparnasse Monde demain pour prendre des photos, au fait)
et il y avait encore plus terrorisant à une époque dans le métro, je me recroquevillais dès qu’ils montaient dans le wagon
Je fréquente moi aussi la gare Montparnasse (quoique moins souvent que toi) et j’ai remarqué aussi la présence de ces pseudo-anges gardiens… moi personnellement (ça n’engage que moi), ça m’inquiète plus que ça ne me rassure. D’ailleurs (suis-je inconsciente ou sereine ? on va dire sereine) je ne ressens pas le besoin d’être rassurée, ni là, ni dans d’autres lieux publics, et la psychose sécuritaire actuelle me donne des boutons.
Bien mieux vaut se souvenir de ces aimables anges wendersiens qui nous visitèrent en d’autres temps !
On avait presque perdu l’habitude du feuilleton (ce qui fait que ce n’en est plus un, mais on le regrette, je dirais comme ça)(avez-vous remarqué, Employée attentive ensemble, la jeunesse de cette troupe ? Et la difficulté que quiconque peut ressentir de saisir chez ce type de types le regard ? Savez-vous, par ailleurs, que leurs armes ne sont que décors et colifichets ? Un peu comme leur joli petit béret, ou le petit insigne qu’on nomme avec une certaine fantaisie “pucelle” et qu’on porte sur le coeur ? C’est pas joli tout ça ? (j’ai été mal élevé pour ce qui concerne le respect dû-paraît-il-aux militaires et aux ecclésiastiques) (c’est sans doute que je ne dois pas cette éducation à mes parents)(où qu’ils soient, que la paix soit sur leurs âmes)
la fin d’un monde au mois de novembre
Une petite précision sur les “mitraillettes” qu’arborent les touristes habillés en tenue de camouflage et qui se baladent dans les gares comme des zombies : il s’agit de FAMAS (Fusils d’assaut de la manufacture des armes de Saint-Etienne), et une chaîne les attache même aux porteurs, en cas de vol (ce qui peut arriver si l’on n’est pas attentifs ensemble).
“Vigie pirate”, ça s’appelle, cette entreprise de “réassurance” du public, et on voit déjà le train aller jusqu’aux Caraïbes…
Les gares demeurent bien des lieux de départ sans butoirs pour l’imaginaire.