le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Nous y revoilà, c’est la saison : les vents mauvais de novembre ont soufflé et, l’arbre* du Montparnasse monde défeuillé, les chambres des appartements des premier, deuxième, troisième et quatrième étages de l’escalier C ont recouvré le jour. On s’aperçoit d’ailleurs à cette occasion que ces fenêtres-là sont moins souvent habillées de voilages plein jour que celles donnant directement sur les voies 365 (ou 366) jours sur 365 (ou 366). La plupart sont nues. Plusieurs mois par an, la nécessaire intimité de ces chambres est naturellement préservée par le feuillage de l’arbre et l’investissement rideaux se justifie moins ; à la mauvaise saison les volets se ferment tôt. Eté comme hiver, ce qui se passe à l’intérieur ne nous regarde pas, nous qui passons en trains. De novembre à avril, les habitants des escaliers A, B et C logent tous à la même enseigne ; plus aucun d’entre eux ne se berce d’illusion champêtre, le nez dans les frondaisons. Le paysage est de fer, uniformément. Les divergences de points de vues entre locataires s’estompent.
Sept minutes de train de banlieue et, judicieusement placée à proximité d’une conversation, j’emporte un grand pan de vie. Ainsi l’autre soir, au départ de Paris, un rang devant moi, voyageaient un couple, sans bagages, et une dame seule, avec valise, juste arrivée de Guingamp ; de ces seniors alertes et assez à l’aise financièrement pour tirer avantage d’une heureuse conjoncture – temporaire – des régimes de retraites. La dame seule arrivait en villégiature chez des banlieusards venus l’attendre à la descente du TGV, et bien aux petits soins pour elle. J’ai tendu l’oreille dès lors que je l’ai entendue dire à son amie – dont l’époux assis de l’autre côté de l’allée centrale interférait peu dans la conversation : Et puis, tricoter, pour quoi, pour qui ? Leur faire des pulls, est-ce qu’ils les mettraient seulement ? J’ai bien un canevas à finir, mais j’ai plus les yeux ni l’envie. Et comme une pelote, ses dires ont déroulé le dégoût de toutes choses et l’amertume d’une solitude récente. Rien ne trouvait grâce. Et l’invitation qui lui était faite, et ce séjour qui commençait dans l’omnibus Sèvres Rive Gauche, entourée d’affection visible pourtant, ne se réduisait pour l’heure qu’à l’effort surhumain d’avoir quitté Guingamp.
*Voir Montparnasse Monde 50
à Guingamp ou ailleurs… qu’importe ! comment ne pas sombrer dans un profond sentiment de déréliction par temps de “solitude récente”, même pas l’élan d’une vie devant soi pour cette “senior alerte” certes mais senior…
Cette vie dans les immeubles au bord des voies , j’aime l’entendre évoquer et pour une raison très particulière; mon père était venu au monde en 1921 rue de Médéah, rue qui n’existe plus puisqu’elle a été recouverte par les voies de Montparnasse, elle donnait dans la rue Vercingétorix , un quartier d’exilés espagnols et d’artistes; c’est touchant de songer à tous ces gens qui ont vécu, aimé, travaillé sous ces nouveaux quartiers; çà leur donne un peu de l’âme qu’ils n’ont pas
amitiés Anne-Marie
@Elise : je cherchais une expression synonyme de “septuagénaire apparemment sans incapacité physique majeure” en plus ramassé et un peu moins socio-sanitaire, d’où mon “senior alerte”, mais en l’occurrence la douleur psychique était bien palpable.
@Anne-Marie : émue d’apprendre cela. Oui, il y a une épaisseur d’humanité sous ces voies-là comme ailleurs, sur d’autres voies, il en reviendra peut-être une ; je pense aux voies de la gare d’Austerlitz du côté de la BnF qu’on est en train de couvrir mais je ne sais pas ce qu’on édifiera sur la surface gagnée.
cette douleur psychique avancée à pas de velours on la perçoit et jusqu’à la voix qui éveille, on le devine, bien des échos, “socio-sanitaire”, pas exactement comme ça que je vous imagine mais l’humour, oui je le reconnais, bref en un mot comme en mille, ces bribes glanées m’ont émue.
je vais vous dire, il n’est pas nécessaire d’être “sénior” (le truc veut que je ne mette pas d’accent à ce mot) (chez les marketteurs, ça commence à 50 piges) pour être aigri(e), et pas non plus obligatoire d’être provincial(e)pour être bigleux (se) … Humm…
l’hiver nous permet de se pencher sur l’existence du 1er au 4e. Peut-être que eux ne veulent pas… C’est toujours la question que je me suis posé sur mes trajets adolescents depuis gare du nord et Saint lazare vers mon Val d’Oise. Et le souvenir de solitude aux lendemains du décès de mon père ayant cru le voir dans le même wagon, un soir de février. Oui, plus envie de faire des choses de l’habitude des jours anciens et trouver le réconfort d’une banquette où par la vitre j’observai la vie des habitants du bord et du haut (pour saint lazare) des rails pour souffler.