La mort
sa grande faux
et sa valise à roulettes
(pour les lames de rechange
c’est qu’elle en use à courir les rues).
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
La mort
sa grande faux
et sa valise à roulettes
(pour les lames de rechange
c’est qu’elle en use à courir les rues).
Ceux qui vivaient là, rue du Château mais qui n’en avaient que le nom, du château,
rouleau après rouleau, n’ont jamais vraiment choisi.
Pas moi qui leur jetterai la première brique.
Je serais ce matin descendue faire le marché (poisson – légumes – fruits – fromages – fleurs). Je serais cet après-midi allée écouter la dernière session du colloque Barthes au Collège de France (celle au cours de laquelle devait intervenir Pierre Bergounioux). De là j’aurais rejoint Reid Hall à 20 heures pour y écouter la lecture musicale “Autour de Marcel Proust” (Franck, Fauré, Hahn et quelques autres). Mais aujourd’hui, sous ma fenêtre, sur le boulevard, les étals du marché n’ont pas été dressés, place Paul-Painlevé, les portes du Collège de France sont demeurées closes et rue de Chevreuse, dans l’ancienne fabrique de papier, la lecture de Jérôme Bastianelli a été annulée. Sur la ville tant aimée et sur ses Lumières, hier soir, la barbarie a semé sa poudre de mort. C’est un samedi tout de pensées pour celles et ceux qui ont perdu la vie, celles et ceux meurtris dans leurs chairs et dans leurs affections. Un temps de silence et de souffle retenu. Mais, de Paris, l’esprit et la raison n’ont pas dit leurs derniers mots.
La vieillesse me tire par les cheveux
par les pieds
par la peau des deux pieds
me racornit
rend soucieuse
cassante
Haut / Bas / Fragile
sauvage
ongles bientôt griffes : n’approchez pas.
Quatre posées là, bien rangées, quatuor inconséquent, sans têtes,
guère plus de jugeote,
quatre qui s’entêtent sous ma fenêtre à attendre qu’on les apprête,
que le marché dictant sa loi les étourdisse, les éblouisse, qu’enfin vienne leur tour de servir d’appâts.
L’air urbain
(l’air de rien)
je le respire mieux
et plus goulûment
que le grand air
de la vie au grand air
- sans parler
des Grands Airs de certains
que je ne peux
tout bonnement
pas sentir (ni entendre).
Cette photo passée hier sur le fil twitter et la page facebook de la Petite bibliothèque ronde de Clamart – dont je disais ici ces jours derniers combien la fête des 50 ans avait été chaleureuse – je ne voulais pas y croire. Une fois de plus cette bibliothèque, si précieuse au coeur des enfants de la cité de la Plaine et de leurs familles, victime de pillage. Mais l’article du Parisien de ce jour ne laisse aucun doute et la peine est profonde. Juste exprimer ici à celles et ceux qui la font vivre tout mon soutien : courage à l’équipe et que la richesse des 50 ans d’histoire de la Petite bibliothèque ronde l’aide à trouver la force de continuer.
J’ai passé un beau samedi, hier, à fêter les 50 ans de la Petite bibliothèque ronde de Clamart. J’étais invitée à rejoindre les enfants et leurs familles qui la fréquentent aujourd’hui, ainsi que l’équipe qui l’anime aux côtés de Marion Moulin depuis 2014, parce qu’au premier jour de son ouverture, en octobre 1965, j’étais déjà là, impatiente d’en pousser la porte, du haut de mes presque 10 ans.
Belle et émouvante occasion de revenir en ce lieu qui a tellement compté comme je l’évoque dans le petit chapitre “Bibliothèque” d’Atelier 62. Grand plaisir à retrouver là, 50 ans après, les premières bibliothécaires qui nous y ont accueillis, nous ont ouvert un monde un peu plus vaste que celui de notre cité de la Plaine, nous ont fait confiance pour faire vivre avec elles un lieu dont l’extrême qualité de la conception, notamment architecturale, reste intacte. Etaient présentes hier Geneviève, qui dirigeait la bibliothèque alors de “La joie par les livres ” – du nom de l’association réunie autour du projet – fou – de la mécène Anne Gruner-Schlumberger, ainsi que Lise et Christine qui l’entouraient en un rayonnant trio.
Présents aussi d’autres lectrices et lecteurs de la première génération, en particulier Dominique, Patrick et Michel avec lesquels j’ai partagé, entre ces murs arrondis, tant de samedis après-midis occupés de clubs de lecture ou de théâtre ou encore de la mise au point du prochain journal. Retrouvailles avec le sentiment que nous nous sommes quittés la veille… Et tous les quatre de constater que ce que nous faisions aujourd’hui n’était pas sans lien avec les découvertes faites ici.
L’anniversaire était aussi l’occasion de découvrir le film réalisé par le jeune cinéaste Kaspar Vogler, La bibliothèque est à nous, qui a partagé le quotidien de la Petite bibliothèque ronde au printemps 2015, mais est aussi revenu, archives et entretiens aidant, sur son demi-siècle d’existence. Un beau film grâce auquel nous “les anciens” avons découvert combien aujourd’hui la bibliothèque était largement ouverte, au-delà des enfants, aux familles de la cité, et comment ses livres avaient été rejoints, dans une complémentarité intelligemment pensée et accompagnée, par les outils numériques indispensables à la lecture du monde d’aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas de faire aussi pousser des radis dans le jardin : c’est cela l’esprit du lieu.
Un film engagé, parce que, malgré son impérieuse nécessité pour les habitants du quartier, l’existence de la bibliothèque a connu des jours sombres – notamment une fermeture en 2006 – et en connaît encore du fait, notamment, de lourds travaux rendus nécessaires par l’âge du bâtiment dans un contexte peu propice à la pérennisation des idéaux sociaux et humanistes des années 1960. Souhaitons au film la meilleure diffusion possible et qu’il devienne à son tour archive incontournable quand on célèbrera le centenaire de la Petite bibliothèque ronde.
Des choses vues au cours de mon bref et récent séjour à Porto, il y a encore ce travail photographique sur lequel le Centro Português de Fotographia (installé dans l’ancienne prison de Relaçao de sinistre salazarienne mémoire) donnait un aperçu malheureusement très succinct et sur le web je ne trouve guère plus d’informations sur le projet. Si j’ai bien compris, la jeune photographe Simone Almeida, dans sa série “Rosa Santos”, partant de petites photos de famille comme on en a tous au fond de nos tiroirs, remet en scène, vingt ans après, leurs personnages, dans leurs attitudes mêmes et dans leur décor. Sont ainsi “dupliquées” les images d’une femme lisant allongée dans un canapé, de deux femmes tricotant assises côte à côte dans une cuisine et d’un couple dansant dans son intérieur. Sauf que maintenant l’homme danse seul. Le dos plus droit, les mains vides, sans plus personne vers qui s’incliner.
Une photographie d’absence qui m’en évoque une autre, bien plus ancienne puisque signée August Sander, dans son recueil des Hommes du XXe siècle, celle du Veuf, entouré de ses deux fils, dont les tristes présences rendent criante celle qui manque. Chandelier pour voir passer l’absente / Comme je m’en servirais ! écrit Henri Michaux dans ses Passages.
Devant les images de Simone Almeida, souvenir revenu aussi, plus joyeux, d’une re-création photographique à laquelle je m’étais livrée il y a une vingtaine d’années, respectant jour et heure de la scène – dimanche soir avant le dîner – et presque son lieu – même ville mais dans un autre appartement. Il s’agit d’une partie de Nain Jaune à trois joueurs sur table de salle de séjour. Sur la photo originelle, début des années 1960, je la dispute avec ma soeur J. et notre père ; sur sa reproduction, une génération plus tard, milieu des années 1990, autour du même plateau à casiers de bois clair garnis de jetons de plastique de couleurs franches (verts, bleus, jaunes, rouges, ronds valant 1, petits rectangles valant 5, grands rectangles valant 10), je la dispute avec nos deux fils. Je parle de ces deux photos sans les avoir sous les yeux, il faut que je les retrouve, je crois que sur la plus ancienne j’avais bougé.