Je crois que j’ai prévu des sièges pour tout le monde.
Collection de chaises, XVIIe-XIXe siècles, Museu de artes decorativas portuguesas, Lisbonne, 22 décembre 2014
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
Je crois que j’ai prévu des sièges pour tout le monde.
Collection de chaises, XVIIe-XIXe siècles, Museu de artes decorativas portuguesas, Lisbonne, 22 décembre 2014
Je ne trouve ma place nulle part
sauf au cinéma
J’achète un billet
je trouve une place
facilement
même dans le noir
corbeille ou balcon
pas question de m’en déloger.
Les frères Lumière, qui auraient pu tout aussi bien s’appeler Abat-jour remarque pertinement Jean-Luc Godard,
pas question non plus de les déloger du balcon.
Je les regarde, triste quatuor échoué sur mon pallier, lamentable, plus aucun ressort, roulettes qui ne tournent plus rond, et leur seule vision me tord les vertèbres, des lombaires aux cervicales. J’ai mal au dos pour elles. La grande surtout, accotée au mur, qui ne se soutient plus du tout. Rompue.
C’est comme avec la signalétique des sorties de stations du métro parisien réduite à des numéros dont la légende n’est explicitée qu’à un seul endroit, sur le quai, et si vous avez eu l’imprudence de ne pas vous en soucier quand vous avez été jeté hors du wagon, ou si vous l’avez lue quand il était temps mais l’avez oubliée dans le labyrinthique enchaînement des escaliers couloirs escaliers qui vous conduisent vers l’air libre, tant pis pour vous. Vous émergerez au petit bonheur la chance, souvent à l’exact opposé de là où vous l’espériez.
C’est un peu le même principe sauf qu’ici c’est pire puisque aucune station du métro parisien n’est dotée d’autant de sorties. Heureusement la petite croix blanche sur fond vert vous offre une lueur d’espoir : si vous êtes assommé par les nombres, ou si vous vous êtes épuisé à chercher le 15, prenez à droite, on vous soignera quand même.
Là-bas, ces jours derniers, par devant notaire j’ai vendu ma maison. Je photographie avant de partir tous les panneaux de sorties de ville, sauf un. Je me laisse une porte ouverte pour y refaire de temps en temps une apparition. Pas trop souvent ni trop longtemps : je m’ennuie à la campagne, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai vendu la maison que je possédais dans ma cité natale. La maison se situait dans le bourg, à un carrefour. Mais même là, j’ai fini par m’ennuyer : il y a de moins en moins de vie dans nos bourgs de campagne.
Une autre des raisons, et non la moindre, pour laquelle j’ai vendu ma maison est la suppression depuis le 1er janvier 2014 du service de taxi collectif, seul forme – sous conditions d’horaires et réservation – de transport public desservant cette localité ayant la mauvaise fortune de se situer à la limite de l’Orne et de la Mayenne, donc de la Basse-Normandie et des Pays de Loire.
Absurdité de la situation : côté Orne, venant en train de Paris-Montparnasse-Vaugirard à Flers (ce qui en soi est déjà presque un exploit tant la ligne Paris-Granville est peu fiable) vous trouvez un autocar qui vous amène pour 2 euros à Domfront, mais il vous reste 10 km à parcourir pour atteindre Céaucé ; côté Mayenne, venant en TGV de Paris à Laval vous trouvez deux autocars qui vous amènent pour 2 euros de Laval à Mayenne puis de Mayenne à Ambrières-les-Vallées, mais il vous reste aussi 10 km à parcourir pour atteindre Céaucé. Entre les deux, rien de rien. Paradoxe des temps : jusqu’à la mise en place du TGV Ouest, un autocar assurait quotidiennement la liaison Laval-Domfront, se jouant des frontières de départements et régions… Je doute malheureusement que la réforme territoriale en cours empêche les uns et les autres de continuer à s’ignorer superbement.
Pour vendre et vider ma maison, j’y suis allée six fois depuis mai dernier. J’ai calculé que ces 6 voyages m’ont coûté, SNCF et taxis complémentaires compris, 832 euros soit un aller-retour Paris-New York.
Soit le bureau de poste au bout de la rue dans laquelle je me rends quotidiennement à mon bureau. Il y avait deux boîtes. Il n’y en a plus qu’une. Celle qui reste recueille seulement le courrier destiné à nos cousins de Province, des DOM et de l’étranger, le long courrier. Ce qui tombe plutôt bien puisque ce matin j’envoyais une lettre verte à Limoges où je n’ai pas de cousinage mais des factures de télécommunications à régler. Mon TIP a donc pu partir. Ceux à qui on ne peut plus écrire sont les habitants de la capitale (fente à gauche de la boîte disparue) et de sa couronne (fente à droite).
Je me demande qui a bien pu partir avec la boîte.
La solitude de sa jumelle m’a rappelé le beau film Martin et Léa, d’Alain Cavalier (1979), pour sa scène où le héros qui se mord les doigts de ce qu’il vient d’écrire et poster à son amoureuse, impuissant à rattraper la missive, incendie la boîte qui l’enferme. Je pense que nous sommes en présence d’un événement du même ordre, sauf que l’épistolier au repentir n’avait pas de briquet sur lui mais un tournevis.
Ce qui est sûr c’est qu’à Paris ou dans sa couronne, une lettre de rupture – à moins qu’il s’agisse d’une déclaration enflammée – n’arrivera pas à sa ou son destinataire. Bien que j’habite Paris, qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre, je ne pense pas qu’elle m’était adressée.
Ce qui ne m’empêche pas d’être choquée par l’atteinte au mobilier postal urbain constatée ce matin : j’ai toujours été maniaque avec le courrier.
Si vous avez manqué le début allez donc faire un tour par ici. Suite des événements sous ma fenêtre : après avoir un temps laissé libre cours à la sève vigoureuse du platane, ils sont revenus, ont élagué les pousses vertes désordonnées puis ont changé d’outil
ont pilonné la souche pour en faire du petit bois
ont rechangé d’outil et ramassé le petit bois
ont arasé la surface terreuse avec le dos de la cuillère
et puis s’en sont allés.
D’autres sont venus (un jour que je n’étais pas chez moi : je ne les ai pas vus à l’oeuvre)
ont posé savamment des petits pavés, en partant de l’angle S/W du carré bien arasé
ont continué
mais ont respecté des limites.
Le carré de terre au milieu du carré de pavés laisse un peu d’espoir. Ils reviendront.
Mais qu’ils ne tardent pas :
le bel ordonnancement concentrique du carré de terre et du carré de pavés
ce n’est déjà plus tout à fait cela.
J’ai aussi mon mot à dire seulement je ne suis pas tout à fait prête
pas qu’il soit bien gros, juste peur du mot en trop
ou que ce soit mon dernier
(soupir)
alors je le mâche encore un peu
histoire qu’il passe mieux.