Le point, une semaine plus tard : parvenue au mercredi 31 décembre 2008, p. 947. Lu donc cinq années et demie cette semaine, coeur du livre et année décisives pour l’histoire du livre lui-même puisque c’est en décembre 2003 que Pierre Bergounioux se lance dans la reprise et dactylographie (dit-il : entendre saisie sur ordinateur) des notes jetées quotidiennement sur des cahiers dont il mesure qu’ils lui tiennent en moyenne neuf mois. Cahiers parfois vert, parfois rouge.
Donc Pierre Bergounioux, en même temps qu’il continue de coucher au stylo sur papier son quotidien du jour fait réafleurer dans son écriture, par ses heures de dactylographie, celui d’avant, le réévoque, le commente et nous replonge, nous adeptes de la première heure de ses Carnets, dans notre mémoire de leur lecture en même temps qu’il mobilise nos souvenirs des décennies charnières XXe-XXIe siècles. Curieux effet, en double et triple hélices (comme celles que l’auteur sculpte) des temps écrits, lus et vécus. Léger vertige pour nous, douloureux vertiges pour l’écrivain, et course contre la montre : que tous ces temps se rattrapent en heure et en temps, lui vivant – il se sent tellement vieux dans sa cinquantaine.
Récurrences infaillibles année après année : l’éclosion de la première jonquille à Gif, toujours vers le 20 janvier, la visite familiale à la foire de Paris autour du premier mai, la promenade du soir pour le parfum des tilleuls en juin, la bourse aux minéraux du PLM Saint-Jacques un dimanche en décembre. En tous temps le suivi de l’activité des salles de ventes de Versailles et Rambouillet et des arrivages en librairie – mais celle des PUF place de la Sorbonne ferme. Pour s’en tenir aux mois de vie urbaine. D’autres récurrences, tout aussi infaillibles, rythment les séjours corréziens.
Ce qui change radicalement dans le coeur du livre, c’est la vie de Pierre Bergounioux en enseignant : il quitte fin 2006 les classes de collège de l’Essonne pour les amphis de l’Ecole des Beaux-Arts, rue Bonaparte à Paris, où il vient enseigner la littérature. Respiration professionnelle nouvelle, mais bataille sévère contre les RER, et finalement acquisition en juin 2008 d’un téléphone portable, le plus simple possible : en cas d’ennui, je pourrai prévenir. Les cabines sont devenues choses rares et les ennuis ne manquent pas.
Signalons aussi, ces années-là, l’usage devenu indispensable de l’appareil photo numérique pour compléter la prise des notes quotidiennes, la mise au rebut du minitel au profit d’une connexion internet maison, mais pas immédiatement l’ADSL puisque le téléphone n’est plus disponible quand on se connecte.
Pour en rester aux évolutions significatives, signalons encore la fin de la Renault 21 et le changement de marque du véhicule qui lui succède. D’ailleurs, par deux fois Pierre Bergounioux, longeant l’île Seguin constate les progrès de la démolition de l’usine, en septembre 2004 se rendant à la maison de la radio répondre aux question d’Alain Veinstein, puis le dimanche 5 août 2007. Cette fois c’est fini : les usines Renault, sur l’île Seguin, ont été rasées. Ne subsiste que le portail d’entrée, auquel fait pendant celui, en brique, à gauche, qui donne sur la chaussée. Quelque chose a pris fin, à n’en pas douter.
En novembre 2008 ce sont les forges de Syam, où il avait séjouné en 2002 et à propos desquelles il avait écrit, qui ferment à leur tour.
De la vie de famille sous toutes ses coutures (et lessives !), de l’amour et du souci des proches, je ne m’autorise pas à parler, sauf pour dire que je donnerais bien tout Jean-Claude Kaufmann et tout François de Singly pour les 30 années du Carnet de notes de Pierre Bergounioux.
PS : si vous cherchez sur ce blog d’autres articles consacrés à Pierre Bergounioux, voyez par ici :
Art de la jonquille chez Pierre Bergounioux : mise à jour 2016-2020
Un printemps bergounien malgré tout
Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux
Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)
Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)
Compression d’étés bergouniens
Lui et nous : à propos du Carnet de notes 2011-2015 de Pierre Bergounioux
Jonquilles primeures à Gif-Sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux
Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux
Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux
Lecture en cours : Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010
“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur
Dans Les moments littéraires, Bergounioux
Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux
D’une page 48 de Bergounioux, et tout son monde est là
Couleurs Bergounioux (au couteau)