De Fives, je connaissais le nom inscrit dans la litanie Caulier, Fives, Marbrerie, Pont de Bois stations de la ligne 1 du métro lillois dans lequel on s’engouffre arrivant en TGV de Paris pour rejoindre au plus vite le campus universitaire de Villeneuve d’Ascq.
Noms de lieux sous lesquels on passe sans en voir les couleurs, mais grâce à Lucien Suel je sais maintenant, pour Fives, que c’est D’azur et d’acier (pour parler comme un blason), mais aussi et surtout de brique. Tellement de briques, même, qu’il faut à la mise en page et à la typographie de son livre D’azur et d’acier savoir les empiler.
Lucien Suel a séjourné trois mois d’hiver en résidence d’écrivain à Fives, commune absorbée par la communauté urbaine lilloise, mais qui garde la distinction de son passé industriel chevillée à l’âme. Pas n’importe quel passé : à Fives, longtemps a mugi une usine dans laquelle on fabriquait des locomotives, de celles qui ont fait briller les rails sur les prairies les plus lointaines et cinématographiques, jusqu’au Far West.
Fabriquer des locomotives (des ponts et des ascenseurs aussi), ça vous classe et vous occupe une ville, surtout quand on en fabrique pendant 150 ans. Aussi, quand la production s’arrête, il vous reste
un coeur qui ne bat plus, un coeur en capilotade et un cerveau dispersé avec tous ceux qui ont travaillé ici, dont le vaste savoir-faire n’a été enseigné ou transmis à quiconque
(parmi eux, un certain Degeyter, le musicien de L’Internationale) et l’usine FCB, pour Fives-Cail-Babcock, – un concentré de puissance et d’intelligence – emprise muette et stérile contenue derrière son mur d’enceinte : 5 mètres de hauteur, en briques. En faire quoi ?
Alchimie heureuse du quotidien de l’écrivain résident (jusqu’au bifteck dans le frigo), d’une enquête sur le passé de l’usine et de la commune, de la rencontre de son présent, en causant avec celles et ceux qui l’entourent, en lisant le Canard de Fives, en marchant, en furetant, en se frottant par tous les pores à la ville, et de la “réduction” poétique des briques omniprésentes, le livre procure un singulier bonheur de lecture.
Et ce n’est pas tout : les éditions La contre allée proposent sur leur site un complément audio à télécharger livre en main. Une petite merveille d’intelligence et de poésie croisant la voix de Lucien Suel et l’accordéon diatonique de Laure Chailloux. En complémentarité parfaite avec un livre bel objet.
Je crois bien que la prochaine fois que je roulerai en métro vers Villeneuve-d’Ascq, à Fives, je remonterai à l’air libre mettre mes pas dans ceux de Lucien Suel à la rencontre des orphelins des locomotives, privés encore du souffle de l’usine qui les portait au monde.
De Lucien Suel j’avais déjà beaucoup aimé Mort d’un jardinier et La patience de Mauricette, avec leurs couvertures à objets (brouette, panier) à la Table ronde. A suivre encore, sa présence blog et texte numérique, aussi avec Josiane Suel, chez publie.net.