Grands draps tendus au chantier
quelle petite main les a si bien
lavés
repassés
pliés
et sortis de la pile dans l’armoire
?
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
Grands draps tendus au chantier
quelle petite main les a si bien
lavés
repassés
pliés
et sortis de la pile dans l’armoire
?
Soit un pan de mur jaune, pas si petit que ça, vu du train arrêté en gare de Vanves-Malakoff
et sur le pan de mur jaune des plus petits pans de mur jaune encore plus jaunes.
Quel petit pan de mur jaune est le petit pan de mur jaune ?
Et pour rester avec Proust : en 2023 je célèbre le cinquantième anniversaire de ma première lecture de La recherche du temps perdu. L’été 1973, juste après le bac, lecture commencée sur le chantier de fouilles d’une sépulture collective néolithique (avec invités mérovingiens) à Vierville dans le Cotentin. Lecture en grande partie à la lampe de poche sous ma tente puisque nous campions fort sommairement sur le chantier et que je n’ai jamais pu fermer l’oeil hors de murs solides. Lecture continuée en attendant ma première rentrée à la fac (Paris 7 Jussieu), puisque les cours ne commençaient à l’époque qu’en octobre – je lisais la suite dans des conditions matérielles moins spartiates mais en proie à mille interrogations sur la vie étudiante que j’allais aborder.
Cinquante ans après et alors que ma carrière officielle vient de s’achever, j’ai décidé de profiter de mon temps gagné pour revenir au temps perdu. Donc relecture de la Recherche à l’approche, nantie de cinq décennies de plus et de quelques expériences qui me faisaient défaut à 17 ans. Je m’y jette dès que j’en aurai fini avec les deux volumes folio de la biographie de Marcel Proust par Jean-Yves Tadié, qui me tiennent lieu en quelque sorte d’antichambre de relecture.
Il y a deux semaines, je m’émouvais ici-même de la mise à mort de nos lettres les plus personnelles et les plus urgentes, effet collatéral de la mise à mort du petit timbre rouge. Mais je n’avais pas encore tout vu. Ce matin, à la brocante du boulevard (dont je vous entretiens régulièrement des trouvailles que l’on peut y faire) j’ai croisé ce signe concret de l’accélération de la déconfiture postale qui nous attend avant même l’instauration des tournées de facteurs non plus quotidiennes mais sporadiques.
Et m’est revenue une chanson que Georges Moustaki chantait avec Catherine Le Forestier sur un jeune facteur qui n’avait que 17 ans et n’irait plus sur les chemins fleuris de roses et de jasmin : vous vous souvenez ?
Les travaux de rénovation du centre Jean Sarrailh du CROUS de Paris – abritant notamment une résidence universitaire et un gymnase – tout en haut du boulevard Saint-Michel mais en réalité sur cette courte avenue Georges Bernanos qui le prolonge, au n°39 pour être précise, ont commencé. Et je constate qu’on y teste déjà des revêtements de façades colorés, dans une gamme de teintes chaudes qui tranchent sur les gris vert délavés que j’ai toujours connus bien que je n’aie jamais eu l’usage de ce bâtiment quand j’étais étudiante (logée alors dans l’appartement de banlieue laissé vacant par le retour à la province de parents retraités). Si le test en cours est jugé convaincant, l’avenue Georges Bernanos dont on oublie toujours l’existence s’en trouvera réveillée en fanfare quelle que soit la combinaison tricolore validée – à moins que les trois soient adoptées et se répartissent (par étages ? en colonnes ?) pour couvrir toute la longueur de façade. Réponse en fin de chantier, en 2024 théoriquement.
Ce n’est pas la première fois que je m’arrête photographiquement, en passant, sur cette étape initiale dans des travaux de rénovation. Sans doute une trace résiduelle de mon goût d’enfance pour tout ce qui s’apparentait à des nuanciers ou à des échantillons, de peintures, papiers peints ou tissus, avidement collectés comme autant de gammes de possibles, espoirs d’horizons moins monotones.
Ces jours derniers, je suis repassée rue de la Glacière voir ce qu’il était advenu d’un immeuble dont j’avais saisi l’essai des matériaux de revêtement pour constater que, grosso modo à quelques ajouts de bordures près, ce qui avait été testé a été adopté.
Même exercice au Montparnasse monde lors de la récente rénovation de la gare : le principe testé au commencement des travaux a été retenu mais un contraste noir/blanc est venu briser l’uniformité blanche initiale. (Je me félicite du bon archivage de mes photos permettant ces comparaisons avant/après).
L’employée aux écritures a toujours été maniaque du courrier en papier, chair et os de facteur. Lettres que l’on glisse dans la fente d’une boîte jaune sur la voie publique, enveloppes parfois gardées en poche un certain temps avant de trouver la fameuse boîte parce que “pour raison de sécurité” – de qui de quoi ? – nombre d’entre elles sont condamnées ; lettres que leurs destinataires récupèrent, le lendemain si tout va bien, dans leur boîte personnelle de couleurs et formats disparates, dénominateur commun la petite clef pour l’ouvrir. Mon attachement au courrier et aux services postaux étant possiblement lié à certains de mes travaux d’historiennes reposant sur l’étude de correspondances échangées au XVIIIe siècle, par Geneviève Randon de Malboissière avec son amie Adélaïde Méliand ou par Manon Phlipon (future Madame Roland) avec ses amies de pension Sophie et Henriette Cannet, par exemple. Autre hypothèse quant à l’origine de cet attachement : mes espoirs longuement entretenus et quotidiennement déçus, avant que ma carrière tardive prenne enfin forme par voie de procédure classique de recrutement dans l’enseignement supérieur et la recherche, de trouver au courrier la lettre d’un chasseur de têtes qui m’aurait dénichée. J’ai écrit autrefois un petit texte à ce propos confié au blog ami “Pendant le week-end”.
Ce premier janvier 2023, la Poste retire de la circulation le timbre rouge qui permettait, en principe, que nos missives parviennent le lendemain à leurs correpondants. Une victime de plus de la dématérialisation forcenée de nos affaires courantes. La procédure s’y substituant est des plus complexe, j’en retiens qu’au bout du compte c’est la Poste elle-même qui imprimera et mettra sous enveloppe nos précieux mots dans son centre de distribution le plus proche du lieu de destination de la lettre, ceci pour éviter d’avoir à la transporter sur des kilomètres coûteux en moyens humains et en bilan carbone. Disent-ils.
Le principe est de saisir le texte de sa lettre, si l’on ne le trouve pas tout fait dans l’un des 200 modèles prêts à l’usage gentiment mis à notre disposition, chez soi sur son ordinateur, son téléphone ou, faute de ces outils ou d’habileté à s’en servir, en allant demander de l’aide au bureau ou à l’agence postale. La Poste se charge du reste : impression sur papier et enveloppe offerts en prime, puis acheminement. Le tout pour 1,49 € si vous ne vous épanchez pas sur plus de 3 feuilles – comptez un supplément de 30 centimes pour la couleur.
J’avoue que tout cela me déplaît profondément au moins pour trois raisons. Premièrement, le présupposé que le maniement des claviers et des écrans est une compétence universelle ou quasi et qu’en attendant l’extinction naturelle des derniers réfractaires ceux-ci ont forcément de l’aide dans leur entourage ou les moyens de se déplacer pour en trouver. Deuxièmement, l’intrusion de tiers entre les correspondants et le fait que toute lettre procédant de cette matérialisation finale aux bons soins de la Poste relève de la “lettre ouverte”. Troisièmement, quid des larmes, des mèches de cheveux, des fleurs séchées dont tant de lettres urgentes pour leurs expéditeurs et expéditrices ont été porteuses : la Poste prévoit-elle leur impression en 3D ? Avec supplément comme pour la couleur ? Cette réforme du 1er janvier 2023 signe, mine de rien, l’arrêt de mort du “courrier du coeur”.
NB 1 Je ne suis pas la seule, bien loin de là, à m’émouvoir de la mort du timbre rouge.
La brosse à dents
du caniveau
ne se prête pas
aux dents de la mer
(question d’hygiène)
Vous
à un bout
moi
à l’autre
on compte jusqu’à 3 on tire tout se déplie et dans les intérieurs ils sont contents ça respire mieux
A saisir à l’Antiquités/Brocante du boulevard, des meubles colonnes de fichiers en bois, destinés à ordonner alphabétiquement des fiches de grand format dans des tiroirs à la profondeur remarquable. Pas du 75X125 de bibliothèques manipulable à bout de bras et d’une seule main une fois le tiroir sorti de son logement.
A y regarder de plus près, je constate que longtemps avant que ces meubles échouent en vitrine, le personnel qui en avait la charge et l’usage ne s’amusait plus à glisser des étiquettes cartonnées dans les porte-étiquettes adéquates, support métal à glissière avec protection transparente. L’apparition sur le marché du matériel de bureau d’étiquettes adhésives avait simplifié une tâche auparavant chronophage. Sur celles-ci on écrivait que le tiroir contenait les fiches de LUG à MAIZ et le suivant de MAJ à MARC – l’alphabet se déployait donc horizontalement, de gauche à droite et non verticalement de haut en bas. Venu le temps du traitement de texte et de l’impression à la portée de tous, les étiquettes avaient gagné en lisibilité et effet typographique de liseré encadrant les bornes alphabétiques. On peut toutefois douter du caractère adhésif du support désormais employé : je verrais plutôt de simples feuilles de papier A4 découpées en bandes horizontales et scotchées sur les tiroirs.
D’autres questions resteront irrésolues à propos de ces fichiers.
Pourquoi ces seuls tiroirs-là mis à l’encan sur le boulevard ? Où sont les autres ? La petitesse des tranches alphabétiques renfermées par chacun d’eux – on ne progresse pas beaucoup de LEGRO à LEM ni de MERM à MIC – laisse supposer qu’engranger l’alphabet entier nécessitait un nombre de meubles plus conséquent que ceux proposés à la vente, superposés dans la boutique : 24 tiroirs en tout insuffisants à recueillir l’intégralité des lettres L et M.
Et si le découpage était si fin, c’est qu’il y avait foule à mettre en fiches. Parce que je pars du principe qu’il ne pouvait s’agir que de fiches nominatives personnelles. Je n’imagine pas pareille finesse, par exemple, pour un fichier géographique des 36 000 communes françaises ; il a bien dû en exister dans certaines administrations avant que l’on dématérialise leurs procédures à marche forcée et tant pis si vous ne suivez pas. Quant à un fichier de bibliothèque je rappelle que ce n’est pas le format. Donc ces tiroirs, ces fiches par milliers (je me souviens de 3 cm = 100 fiches du temps où j’étais intercaleuse) : pour qui pour quoi ?
Pas volée la réputation
des feuilles de choux
rien à lire
peu à en dire
à Versailles, ce 1er décembre 2022, je constate que la permanence de l’affichette dont je m’émerveillais ici même le 11 juin 2021 a vécu.
De l’annonce de cette fermeture définitive pour le 5 avril 1997, qui avait si bien résisté au temps passé depuis comme aux aléas météorologiques, ne subsistent que les quatre punaises qui la fixaient au contreplaqué en ses quatre angles et deux demi-mots. Plus de quoi inscrire dans le paysage l’annexe du département des périodiques de la Bibliothèque nationale.