Ce dernier dimanche, allant visiter à Versailles, dans l’ancien hôpital royal, l’exposition des photographies de Willy Ronis faites en RDA, passant par la rue Montbauron pour rejoindre depuis la gare de Versailles-Chantier ce très beau lieu, l’affichette demeurée en place sur la grille de ce qui avait été l’annexe du département des périodiques de la Bibliothèque nationale jusqu’à sa fermeture le samedi 5 avril 1997 (*) m’a sauté aux yeux. Nul ne s’est donc soucié de l’en ôter, depuis le temps, et l’encre ne s’en est pas même estompée.
J’ai fréquenté, quand j’étais bibliographe (de 1981 à 1989 et de 1995 à 2003), la salle de lecture de cet élégant bâtiment des années 1930 pour y dépouiller de minces bulletins confidentiels d’associations et autres petits journaux locaux rarement consultés et à ce titre semblant pouvoir être conservés à l’écart de la presse digne de la salle ovale du 58 rue de Richelieu. Je gardais sous le coude, au fil de l’année, les cotes qui commençaient par “Jo” que j’avais à voir là-bas et en une semaine de décembre ou de janvier, j’en avais fait le tour. Ce qu’il me reste de ces séances de travail hivernales à l’annexe de Versailles, c’est la dextérité remarquable de Mme D., magasinière régnant sur la salle depuis sa table à droite de l’entrée, à déficeler les petites liasses de brochures, après s’être jouée déjà des rabats retords des enveloppes de papier kraft qui les enserraient. Et même chose pour le reficelage/réempaquetage, après rapide contrôle que le compte y était bien quand, en ayant fini avec les feuilles de choux, on les lui restituait. Un professionnalisme intransigeant couplé, une fois la confiance gagnée, à une extrême serviabilité valant à Mme D. d’apparaître à la page “remerciements” d’ouvrages à l’érudition insatiable.
Ce qui m’avait fait gagner au-delà de la confiance, la complicité de Mme D., c’est qu’à la ville, nous étions voisines. Dans ces temps où les bulletins de demande de la bibliothèque se remplissaient au stylo en appuyant fort pour atteindre le troisième feuillet, il y avait lieu d’y inscrire son adresse. Mme D. avait ainsi repéré que seule la largeur des voies du chemin de fer de Paris-Montparnasse (**) à Versailles nous séparait ; nous résidions juste de part et d’autre d’un ancien passage à niveau séparant deux villes banlieusardes limitrophes. Du jour où elle m’avait fait part de cette proximité, mes doutes chaque dimanche matin quant à la présence d’un sosie de Mme D. derrière un étal de légumes de mon marché s’étaient dissipés. Ces jours-là, m’avait expliqué celle dont la vie n’avait pas toujours été rose, loin de là, elle donnait un coup de main à sa belle-soeur maraîchère.
Mme D. est partie en retraite lorsque les collections de l’annexe de Versailles ont rejoint la tour T2 de Tolbiac. Des années plus tard j’ai déménagé et nous nous sommes perdues de vue ; entre-temps, il était arrivé que Mme D. passe nourrir notre chat lors de nos absences estivales.
(*) Merci à Nadine Ferey pour la confirmation de cette date et pour cette référence et celle-ci.
(**) Mme D. fait une apparition discrète dans les pages du Montparnasse monde (saurez-vous la reconnaître ?).