le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Il y a cinq ans aujourd’hui commençait un confinement pour cause d’épidémie qui, tout compte fait, de rallonge en rallonge, allait durer huit semaines. Une période d’enfermement au cours de laquelle, une fois rentrée de la sortie quotidienne autorisée d’une heure dans un rayon d’un kilomètre, je tanguais d’une fenêtre à l’autre, côté boulevard, côté cour, et notais les choses vues, à moins que je ne songe par de vers moi à l’incongruité de la situation (*).
Mardi 17 mars sur la rue. Les chiens, même tenus en laisse, sont les rois du boulevard. Mercredi 18 mars sur la rue. La croix verte de la pharmacie signe la vie. Jeudi 19 mars sur la cour. Un enfant après l’autre joue sa récréation. Vendredi 20 mars à l’intérieur. Les cheveux pousseront désormais sans craintes. Samedi 21 mars à l’intérieur. L’adjectif drastique est sorti de sa réserve. Dimanche 22 mars à l’intérieur. Les heures creusent leurs trous profonds. Lundi 23 mars sur la cour. Jalouse d’une corde à sauter, pas pour me pendre, juste sauter. Mardi 24 mars à l’intérieur. Agendas gommés à perte de vue, angoisse des pages blanchies. Mercredi 25 mars sur la cour. Deux par deux, les fratries, badminton, sans échange de raquettes. Jeudi 26 mars à l’intérieur. Les mains récurées y laisseront leurs peaux. Vendredi 27 mars sur la rue. Les couloirs de bus coulent des jours paisibles. Samedi 28 mars à l’intérieur. Nos fors intérieurs n’en demandaient pas tant. Dimanche 29 mars à l’intérieur. Passage à l’heure d’été sans penser l’été. Lundi 30 mars sur la rue. Plus personne ne compte ses pas : 10 000 par jour on n’y arrivera jamais. Mardi 31 mars à l’intérieur. Tisser détisser retisser les fils d’infos, faire sa Pénélope sur la toile. Mercredi 1er avril sur la rue. L’obstination de l’anticyclone confine à l’insolence. Jeudi 2 avril sur la cour. Les pâtés de petits cailloux manquent de tenue, il faudrait du sable humide. Vendredi 3 avril sur la rue. Les valises à roulettes, toutes, métamorphosées en charriots à commissions. Samedi 4 avril sur la rue. De nuit, à l’hôpital en face, des fenêtres éclairées qu’on a toujours vu éteintes. Dimanche 5 avril à l’intérieur. Les chaussures de ville alignées dans l’entrée s’empoussièrent et n’en reviennent pas. Lundi 6 avril à l’intérieur. Innocente intrusion du dehors, la botte de radis prend des airs de cheval de Troie. Mardi 7 avril sur la rue. S’avancer masqués pour une fois qu’avril pouvait nous découvrir d’un fil. Mercredi 8 avril à l’intérieur. Pics, plateaux, épicentres, la géographie de 19 :15. Jeudi 9 avril sur la rue. Deux cavaliers et leurs montures caparaçonnés de bleu, chaque jour, au petit trot sur le boulevard. Vendredi 10 avril sur la cour sur la rue. Nos fenêtres nous ne les verrons plus jamais du même œil. Samedi 11 avril sur la cour. L’érable élagué, de ses jeunes pousses vertes, veut nous dire quelque chose. Dimanche 12 avril à l’intérieur. Férié, ouvrable, ouvré, va savoir. Lundi 13 avril à l’intérieur. Il faudrait pouvoir en parler au passé mais ce ne sera pas simple. Mardi 14 avril à l’intérieur. La saint glinglin, la Trinité, les dents des poules : aux environs de la mi-mai – à confirmer. Mercredi 15 avril sur la cour. Les marelles tracées dans les petits cailloux ne sont pas durables. Jeudi 16 avril sur la rue. Ce frisson à chaque passage de camion frigorifique. Vendredi 17 avril sur la rue. Statistique personnelle : deux personnes au plus par autobus, même dans les doubles. Samedi 18 avril sur la rue sur la cour à l’intérieur. Le geste-barrière n’est plus l’apanage du garde-barrière. Dimanche 19 avril à l’intérieur. Ce que l’on sait c’est que l’on n’en sait pas beaucoup plus sur la suite. Lundi 20 avril sur la rue. Tous ces chiens qui habitent la ville dans un rayon de moins d’1 km et que l’on ne connaissait pas. Mardi 21 avril à l’intérieur. Compter en semaines (6) plutôt qu’en jours (36) pour tâcher de s’en tenir à un chiffre. Mercredi 22 avril sur la cour . Ils ont tous bien progressé en badminton sans doute grâce au filet de fortune installé. Jeudi 23 avril à l’intérieur. Jusqu’à la nuit même, lourde de rêves confinés, que le jour ne dissipe pas. Vendredi 24 avril sur la rue. Le joggeur passant sous la fenêtre à 19 heures pile sort de nulle part, forcément. Samedi 25 avril à l’intérieur. Les beaux parleurs de chez eux sur nos écrans ont souvent des plafonds moulurés sur la tête. Dimanche 26 avril sur la rue. Réapprendre à traverser dans les clous comme les chiens réapprendront la laisse, un jour. Lundi 27 avril à l’intérieur. Attendre la stratégie du plan (ou le plan de la stratégie) et tourner en bourrique. Mardi 28 avril sur la rue. Toute averse venant reverdir les platanes est source d’espoir. Mercredi 29 avril sur la cour. Diversification des jeux : apparition d’un croquet et de quilles de bois numérotées. Jeudi 30 avril à l’intérieur. Vert, rouge, alerte orange, que chacun voie l’épidémie à sa porte. Vendredi 1er mai sur la rue. Disparus mon fournisseur de muguet communiste français et ses concurrents de sauvette. Samedi 2 mai à l’intérieur. Exhumer les pinces à cheveux des vies antérieures qu’on croyait enfouies à jamais ; ils ont poussé sans crainte. Dimanche 3 mai sur la cour. À 17 heures chaque après-midi, l’envol des volutes d’un violoncelle voisin. Lundi 4 mai sur la rue. Un frémissement, comme un frémissement, des prémices, une amorce (et puis rien ?). Mardi 5 mai sur la rue. La grande soif des jardinières aux fenêtres de ceux qui sont partis fait peine à voir. Mercredi 6 mai à l’intérieur. Vérifier quand même que dans cette histoire de 2,5kg/personne on compte pour du beurre. Jeudi 7 mai sur la rue. Si les mardis, jeudis, samedis, autour des étals du marché se dansera un bal masqué ? Vendredi 8 mai sur la cour. Rêve éveillé : imaginer nos enfants mêlés à ceux d’en bas (mais ils ont bien passé l’âge). Samedi 9 mai sur la rue. Rideaux de fer à demi levés : états des stocks, serpillères et balais, et dérouiller les tiroirs-caisses. Dimanche 10 mai à l’intérieur. Clore ici quoiqu’il advienne, demain, du déconfinement et de mon écriture.
(*) Ce billet compile les notes publiées hebdomadairement sur ce blog pendant le confinement.
Illustrations : marelle et filet de badminton de fortune pour les récréations improvisées dans la cour par les enfants de l’immeuble.
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