j’ai essayé de suivre un stage d’écriture, changé de bureau, publié un livre, perdu ma mère, acheté une robe et suis partie quelques jours en vacances toute seule à la montagne

01/12 calendrier des saints 1er décembre, c’est la Saint-Eloi, pensée pour les forgerons 02/12 temps de chien le chat Moumine (en hommage au troll) : toute la journée à se faire cuire sur un radiateur, même pas cherché à sortir 03/12 s’apprêter je commence à me faire un sang d’encre pour la fin de semaine : j’en aurai besoin 04/12 carnet d'adresses je connais de plus en plus de morts : au seul cimetière du Montparnasse en l’espace de trois mois, deux nouveaux habitants ; qui ne se connaissaient pas 05/12 jardin d’hiver Les pelouses de ce jardin sont en repos hivernal du 15/10 au 15/4 la terre des carrés aux lavandes a été retournée ; une souris a traversé mon bureau en milieu d’après-midi ; vraiment temps que je m’en aille 06/12 prévisions oeil sur Météo France avant d’éteindre et de glisser l’ordi dans le sac : à Lisieux on ira de Trés nuageux avec éclaircies, le matin, à Variable avec averses, le soir 08/12 lendemain de fête du sang d’encre, il en restera pour les vampires, s’ils aiment ça 08/12 220 V 100 W MAXI à ma place, dans le corail, sous le clapet la prise : la vie continue 09/12 Gloomy Sunday j’ai remis mes habits d’hier mais on était quand même aujourd’hui et ça changeait tout ; retourner au long silence ; de quoi il était fait 10/12 surexposée être au monde un peu protégée, comme dans la doublure d’un manteau, j’aurais préféré 12/12 et déguerpir pour transporter ma paperasse jusqu’au pilon, le Bureau Ressources Humaines et Affaires Générales me prête un caddy type supermarché que je pousse le long de couloirs courbes ; combien de voyages ? 14/12 changer de montagne j’ai effacé méthodiquement toutes les traces de mon passage pièce 2071 et fermé très doucement la porte derrière moi ; en-dessous les trains passeront toujours 16/12 jour fichu d’avance ouvert le premier message du matin, un Historien qui me disait "bonne chance pour votre roman", me suis recouchée illico ; celui-là je croyais qu’il avait compris 17/12 bonnets pointus et longues robes d’astrologues ils ne parlent toujours pas de sapin : peut-être qu’à la maison l’enfance a passé tout à fait ; je me récite Apollinaire toute seule 18/12 essayages beaucoup de courrier et puis partie dans l’idée d’acheter une robe d’hiver en laine, essayé 5 ou 6 et puis rien ; bien dix ans que je n’ai pas porté de robe 19/12 essayages (suite et fin) changé de quartier, encore 4 et toujours rien : j’arrête avec l’idée extravagante de m’acheter une robe d’écrivain ; trop perdu de temps avec ça 21/12 damned ! finalement, ils veulent encore un sapin, ça allait de soi paraît-il et je ne sais pas s’il en reste quelque part dans mes prix (je ne suis pas maternellement très correcte tous les jours...) 22/12 ce qu’on attend, ce qui arrive aujourd’hui la vie déborderait des deux lignes comme le lait de la casserole sur le feu ; rester calme alors 23/12 petite consolation "on vient chercher ces petits éclats de vie et, en chemin, on apprend la mort ; “celui du château d’Argol ?" demande le plus jeune fils, sans lâcher sa manette de jeu ; la vie quand même... 24/12 tristesse du déballage sur le parvis, un euro le bonnet de père noël, taille unique mais plusieurs modèles, ceux qui les essayent, on préfèrerait ne pas voir 26/12 au palais de Tokyo Helene Schjerfbeck, peintre finlandaise, émouvante en ses portraits de femmes (le poids qu’on sent sur les épaules de la servante) et quand on sort du musée, la nuit humide qui enveloppe, saisit et se glisse par le col du manteau 28/12 vivement après c’est reparti les fêtes, bien trop de monde, les trottoirs et la gare, livraison U (viennois chantilly éclatés dans le carton) pour tenir jusqu’à mercredi, phobie des magasins ces jours-là, se replier 29/12  alchimie pour le goûter, ma très chère vieille mère, avec ses 94 printemps, étés, automnes, hivers, m’a fait une tarte aux pommes et c’étaient des pommes d’or 31/12 sans solution de continuité enchaîner comme si de rien n’était : le peu de jour, d’abord, sera pareil 01/01 voeu la peau, si c’était possible, un petit peu plus dure 02/01 frisquet 4° 15h42 clignotement croix verte pharmacie carrefour Vanves République, du bus 189 ; raté le train de 15h29 alors solution bus/métro, pas me geler un quart d’heure sur le quai ; tant pis pour la gare (et retour idem : 2° 17h22) 04/01 clef des songes dans le rêve, la robe en vitrine avait une coupe chemisier : petit col et patte boutonnée ; maille fine imprimée têtes de chevaux crinières au vent ; je me demandais si j’entrais l’essayer 05/01 fragilité du souffle ma chère vieille mère aux pommes d’or ne va pas trop bien aujourd’hui 06/01 Epiphanie je la veille, elle dort habillée de papier froissé bleu AP-HP, elle toute sa vie si soucieuse de la qualité des étoffes ; les infirmières : galette des rois dans la pièce à côté 08/01 maladresse elle dit qu’elle veut faire son signe de croix, j’essaie de l’aider, l’infirmière me fait comprendre discrètement que sa résistance vient de ce que je ne lui prends pas la bonne main ; un cap à passer ils disent 09/01 lire ou pas dans mon sac j’ai toujours le livre qu’elle venait de commencer à lire chez elle, au cas où je lui ferais un peu de lecture ; pas sûr que ce soit une bonne idée et je ne le sors pas du sac 09/01 affaissement je ne reconnais plus ma mère et c’est inadmissible qu’elle ne soit plus parfaite 10/01 déraison, raison elle dit qu’à Saint-Brice une femme a 10 petits cochons dans le ventre ; elle dit aussi que mes yeux ont changé 13/01 épilogue maintenant que tout est fini, c’est une robe de grand deuil qu’il me faudrait, mais ça ne se trouve plus dans les boutiques et elle n’est plus là pour me la coudre ; la couturière est injoignable, partie encore une fois avec le forgeron 16/01 maître de cérémonie de campagne "et maintenant Mesdames et Messieurs en signe de revoir je vous invite de déposer une fleur" et il nous distribue de grandes renoncules blanches 19/01 si on s’est tout dit avant rêvé de ma soeur morte bientôt trois ans de cela ; dans la nuit mes mortes s’interpellent et ne m’entendent pas 20/01 ronde de nuit des morts dans le rêve, les parents voulaient prendre le train pour Bagnoles de l’Orne, mais ils avaient perdu l’habitude 20/01 employée aux écritures perdue dans le courrier : ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, si je leur dis, et ceux que je remercie, de quoi ? mal classés les messages 21/01 sortie assisté à un séminaire et jeté un coup d’oeil sur le coin de bureau qui m’attend, sous les toits ; décidé que sauf en cas de pluie j’irai toujours à pied ou à vélo de la gare à la rue d’Ulm 23/01 dépouille long moment toute seule chez elle à essayer des habits trop grands ; pourtant gardé sur moi le gilet bleu et il faudra me l’arracher ; je n’aurais pas dû 23/01 à juste titre ils me font remarquer qu’on enchaîne la première année sans galette à la première année sans sapin ; je leur dis que ce n’est peut-être pas trop tard mais qu’il vaut mieux qu’ils s’en occupent eux-mêmes, que je risque de continuer à oublier 25/01 imposture traversé le jardin du Palais Royal, traversé la galerie Vivienne, traversé le passage Choiseul ; dans la galerie, la vendeuse de la robe en solde qui pouvait faire l’affaire m’a dit "vous êtes écrivain ?" et j’ai répondu oui ; je ne retournerai jamais dans cette boutique 30/01 empêchée 30 janvier, ma mère ne me souhaitera pas ma fête ; penser à poser aux autres la question de ses agendas et petits carnets 02/02 collision frontale les événements se sont complètement encastrés l’un dans l’autre : il faudrait me désincarcerer 03/02 législative partielle seule sortie : bureau de vote ; autrement rien, ou alors Schubert, de Nantes, retransmis France Musique 05/02 faire le vide les affaires des morts, après ; ce qu’on y trouve ; ce qu’ils nous disent encore 24/02 ligne de production arrêtée jour après jour, sur la table du petit déjeuner, revient ce pot de confiture de framboises, étiqueté de sa main été 2007, que personne n’ose terminer tout à fait ; il faudra bien 25/02 aller au bureau je prends : le départ rue du départ (que je quitte en coupant par Inno devenu Monoprix), boulevard Edgar Quinet, rue Delambre, boulevard du Montparnasse (toujours côté n°s impairs), boulevard de Port-Royal, rue Pierre Nicole, rue des Feuillantines et je bois un café au pub angle Gay-Lussac/Ulm en arrivant ; tout ce temps-là m’appartient complètement  28/02  consommée tout à fait en entrant dans la cuisine ce soir, vu que ça : le pot de confiture lavé retourné qui séchait au bord de l’évier ; sûrement celui qui avait pris sont petit déj le dernier et débarrassé ; plus du tout pensé au reste 01/03 résolution sous Word la prochaine fois je collerai des espaces insécables partout, que personne ne se détache ; je ne pense jamais aux espaces insécables 02/03 alternance écrire, nager, écrire, j’aurais bien continué la journée comme ça mais le dimanche la piscine ferme à 13 heures ; amortir la carte de 10 entrées que je me suis rachetée vendredi (28,50 avec justificatif de domicile, à l’ordre du Trésor Public) 04/03 ciel changeant pensé plusieurs fois qu’on en arrivait aux giboulées de mars - et pourquoi j’aimais tellement l’expression "giboulées de mars", quand ça tambourinait contre le vélux de mon bureau ; premier bureau avec vélux 05/03 transmission des biens faire sa place à l’horloge, cadeau de mariage en 1936, signée Qualité supérieure, Lepage horloger à C., et s’étonner que le balancier reflète désormais, arrondi, notre monde à nous 06/03 qui sait ? constaté au matin l’arrêt de ma montre, sans doute la pile à changer, mais pensé quand même que l’arrivée de l’horloge, hier, n’y était peut-être pas étrangère 09/03 dimanche infinitif lu balayer fermer partir avant de cuisiner laver ranger voter, dormir j’espère 10/03 travail de bénédictin toute la journée copiste dans la salle des manuscrits occidentaux de la vieille BN, rue de Richelieu, 48 feuillets saisis ; le bois craque de partout, j’ai perdu l’habitude 20/03 configurations impossibles au café des morts nous formons une table de quatre : mes parents, ma soeur et moi ; jamais dans un café de vivants on ne nous a vus ensemble attablés ; après tout est permis 22/03 corail lunea 5799 arrivée Montdauphin Guillestre demain 8h01, puis autocar Petitmathieu ; de quoi écrire dans le sac et wifi là-haut ; neige ou pas neige, n’en ai que faire 23/03 d’altitude dans cette maison, une chambre que je n’avais jamais occupée, mais je ne viens pas seule d’habitude ; ici, sommeil et rêves encore plus décousus : oxygénation du cerveau je me dis toujours (mais je n’en sais rien) 24/03 température négative toute la journée en dessous de zéro, bien trop pour la neige annoncée qui n’arrive pas ; lu la correspondance de Rimbaud et la commande qu’il passe d’Aden le 20 mars 1883, du Manuel pratique des poseurs de voies de chemin de fer, d’un certain Salin, chez Dunod 25/03 temps qu’il fait (ailleurs qu’à Cognac) la nuit la neige et au jour le vent un vrai fou dans les mélèzes, après bleu, bleu, bleu ; marché jusqu’à Fontgillarde, thermos de thé et Rimbaud avec 27/03 travaux sur les voies retour forcé de jour, vu du pays et des arbres fruitiers plantés alignés, bien taillés, commençant juste à fleurir ; c’était la Drôme, Livron, et dans le i-pod à ce moment-là Brigitte Fontaine qui s’arrangeait avec le chef de gare pour le gilet rouge 29/03 rituels perdus je ne m’habitue décidément pas à partir en voyage sans téléphoner à ma mère une heure avant pour lui dire au revoir et quand je reviens au juste : deux casanières qui se rassuraient réciproquement.

 poursuivre ce printemps

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jours compactés de décembre 2007 à mars 2008 écrits à raison de deux lignes quotidiennes pour le petit journal de Tiers Livre