Je continue à déposer ici, saison après saison, ma “Conduite à tenir pour vivre une année bergounienne” publiée dans le livre collectif Pierre Bergounioux : le présent de l’invention, dirigé par Laurent Demanze en 2019. Une contribution inspirée par ma relecture des trois premiers Carnets de notes (1980 à 2010) pour y puiser le schéma de l’année bergounienne archétypique. Premier janvier 2020 oblige, ce sont les mois de janvier, février et mars que je propose aujourd’hui, accompagnés des meilleurs voeux de L’employée aux écritures. Tous les passages composés en italiques ci-dessous sont des citations extraites des Carnets.
Janvier, février, mars. Guetter, à Gif-sur-Yvette sur la butte en lisière du bois d’Aigrefoin, l’éclosion de la première jonquille ou le premier chant du merle, événements qui surviennent à dates variables et font le nouvel an. Pour le reste, oublier au plus vite un premier trimestre pénible, du premier dimanche de janvier, le jour le plus triste de l’année, au dernier jour du premier mois de l’année, le pire, après quoi dans l’antre noir et glacé où l’an est en gésine, attendre que février s’achève pour quitter la face d’ombre, le versant noir de l’année ; un mois plus tard, gagner enfin une prometteuse heure d’été en espérant ne pas avoir vu passer le mois de mars. Résister coûte que coûte à ces trois mois sans échappatoires corréziennes, sans forces de la nature à éprouver que le surgissement effronté, sortis du bois, de quelques chevreuils gourmands de bourgeons ou d’une laie suivie de ses marcassins. Mois d’hiver avec, pour tout viatique, des après-midis dominicales à suivre le cours de la Mérantaise qui mêlera son filet d’eau à celles de l’Yvette. Se plier au temps cadencé, semaine A semaine B, de l’emploi du temps du collège. Arracher à la nuit d’avant l’aube les heures d’écriture, de lecture, d’étude, les instants à s’appartenir. Concéder le peu qu’il reste de jour, hors du collège, à la vie domestique : lessives, provisions de pain, courses au supermarché, cuisine – steaks hachés/coquillettes les mercredis. Cours du matin dispensés, semaine contrainte bouclée, s’accorder dans l’ébriété vague des samedis après-midis et leur insidieux parfum de désœuvrement une virée en hôtel des ventes, à Rambouillet, à Versailles – en revenir accompagné d’un crocodile empaillé d’un bon mètre de long- voire jusqu’à Chartres si le ciel s’y prête. Toujours à craindre, l’hiver, la neige et le verglas qui rendent la butte difficilement praticable. Compter, en toutes saisons mais encore plus fâcheux par mauvais temps, avec les incartades de la R 21 ou du RER B, les embarras et les dangers publics sur la N 306. Anticiper en se donnant de la marge, quitte à tuer une heure d’avance dans la salle d’attente du cabinet médical (glisser dans le cartable la dernière livraison des Actes de la recherche en sciences sociales) ou, pire, livré aux courants d’air glacé de la gare. Janvier, février, mars : tenir bon et, au premier soleil, ouvrir grand portes et fenêtres, chasser l’hiver de la maison à grands coups de balais.
Illustration : fanal au pignon de la gare RER B de Gif-sur-Yvette.
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