L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

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“Mort d’un jardinier” : livre avec brouette de Lucien Suel

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L’employée aux écritures a décidément la lecture bucolique ces temps-ci, enchaînant au Sanzaki de Jean-Loup Trassard la Mort d’un jardinier de Lucien Suel.

En son jardin potager, entouré de ses légumes et de ses outils, visité par des bêtes jamais bien loin de ses planches rigoureusement tracées – un rouge-gorge, une colonne de fourmis, une taupe et le chat qui vient se coller à sa cuisse – un jardinier se meurt.

Au fil de 23 chapitres qui sont autant de longues et belles phrases commençant par “tu” – “tu marches”, “tu regardes le ciel”, “tu noues les lacets de tes chaussures”, “tu récoltes ce que tu as semé”…-, Lucien Suel, observateur compréhensif du soin que prend le jardinier de sa terre, parle à celui qui finit sa vie dans ses mots.

Et puis, une fois la douleur venue déchirer la poitrine du jardinier et le coucher sur cette même terre – “tu es cloué au centre du jardin” “tu n’as plus de force” “tu respires encore” “tu restes immobile”…-, c’est toute une vie convoquée en rafales par tous les sens et par tous les âges, que met en mots et en partage l’homme invisible du jardin.

En empathie parce que ces deux hommes sensibles, jardiniers l’un de terre et l’autre d’écriture, avec leurs tâtonnements, leurs doutes, ce qu’ils ont vu, goûté et compris, ce à quoi ils tiennent et ce qui les retient, se ressemblent sans doute comme des frères.

C’est à la fois très beau et très simple, pas triste, et l’on pense à la sagesse de Pessoa et de son Gardeur de troupeau : Lorsque viendra le printemps, / si je suis déjà mort, / les fleurs fleuriront de la même manière / et les arbres ne seront pas moins verts qu’au printemps passé. / La réalité n’a pas besoin de moi.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais la mort de ce jardinier me rappelle aussi, de bien loin dans le temps des chansons seulement à la radio, celle du clown chantée par Giani Esposito, avec douceur, respect et poésie. On peut l’entendre ici cette chanson que j’aimais bien, il y a longtemps.

Lucien Suel est très présent sur la Toile, notamment ici et , traces à suivre ; il est à lire aussi chez publie.net.

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jan 28, 2009

“Sanzaki”, polar aux pommes de Jean-Loup Trassard

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Passant bien souvent à côté de leurs intrigues et surtout de leurs dénouements, L’employée aux écritures goûte moyennement la littérature policière et la connaît mal, à quelques exceptions près, comme les livres de Jean-François Vilar, tous lus et appréciés parce que Paris, ses apparences et son épaisseur, et ceux de Lawrence Block parce que New York et le charme fou du libraire cambrioleur ou le spleen du détective qui ne boit plus d’alcool.

Mais le thriller rural et poétique, illustré de photographies magnifiques de pommiers et de pommes, que vient de publier Jean-Loup Trassard, Sanzaki, aux éditions du Temps qu’il fait, bien que terriblement éloigné par son cadre bocager – ça change la donne en cas de planques et de poursuites – , le métier de couverture de son héros Léandre – agriculteur – et ses activités illicites justifiant les dites planques et poursuites, ne me pose aucun problème de compréhension et je l’ai dégusté avec plaisir.

Parce que je sais de quoi il retourne, venant de la même terre que Jean-Loup Trassard (mon extrême sud de l’Orne et sa Mayenne, limitrophes, ont beaucoup à voir), terre tellement présente, en mots et en images, dans ses oeuvres – se souvenir de sa Conversation avec le taupier chez le même éditeur en 2007.

Sanzaki, c’est en fait un synopsis de polar, strictement découpé en une série de plans qui s’intitulent Charrue – Ferme – Chemin – Voiture – Alambic – Bistrot – Garage – Herse – Vélo – Grenier – Volante – Etable – Gendarmerie – Machine à écrire – Fumier – Journal – Herse – Tôle – Draps : c’est dire si on a les pieds sur terre.

Des plans – et quelques actions – qu’on voit et qu’on entend grâce à l’observateur tout ouïe, toujours caché au creux d’une haie ou dans l’encoignure d’une porte de grange, à qui n’échappe le moindre mouvement ni le moindre souffle et qui raconte :

Lumière à la fenêtre encombrée par pots de fleurs dehors et rideaux en dentelles dedans. La cour s’est emplie d’une nuit incertaine entre les masses plus sombres, maison, étable et loge, tas de fumier à l’écart dans un coin, tombereau immobile de tout son bois charronné, écurie, cabane à lapins, soue à cochons. Rien ne bouge. Si, une jument frappe lourdement le pavé d’un seul de ses pieds ferrés. On écoute la nuit.

Trassard distille son texte, comme Léandre le jus de ses pommes*, dans un livre “physiquement” – aussi – très beau : à consommer sans modération…

* Dans un tout autre style, mais du même tonneau par le sujet, Jusqu’à plus soif de Jean Amila (Jean Meckert) paru en Série noire en 1962 – l’action de Sanzaki est située en 1963.

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jan 14, 2009

Les mots de Fabienne Swiatly

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L’écriture de Fabienne Swiatly, avec des mots juste ce qu’il en faut, touche toujours au plus humain, résonne vrai, et nous aide à nous regarder dans nos conditions partagées, pas forcément choisies.

Qu’elle parle de Gagner sa vie et ce qu’il en coûte, raconte ses “années en 8” ou signe simplement la lettre de remue.net – et dans ce cas je sais dès que je l’ouvre que c’est elle qui l’a écrite sans avoir besoin de vérifier tout en bas de la missive – l’indifférence à ce qu’elle nous dit est impossible.

Récemment, outre Jusqu’où cette ville dans la collection numérique publie.netFabienne Swiatly a publié deux livres en papier : Boire   (éditions TerreNoire) que je n’ai pas encore lu et Une femme allemande (éditions La fosse aux ours) que j’ai lu récemment dans un train, le temps d’un aller/retour entre Paris et Vernon.

La femme allemande est une femme transplantée de l’autre côté de la frontière au mauvais moment, le ventre trop souvent rond, et qui n’imaginait pas la vie avec l’homme vainqueur qu’elle a suivi et les siens. Une femme qui pose de temps en temps sa brosse, sa serpillière et son sceau pour fumer, appuyée dos au mur, et chanter le jour ou la pluie viendra.  Une femme qui porte des tabliers à carreaux, rêve un temps à mieux, et puis non, finalement, c’est sa vie, ce silence, cet engourdissement.

Une femme qu’on voit, au début du livre, adolescente fouillant les décombres de sa ville, comme aurait pu nous la montrer un Rossellini, et plus tard, rompue, un Fassbinder. Un personnage et des images aussi forts que les leurs, juste au moyen des mots nécessaires, ni plus, ni moins.

Depuis peu Fabienne Swiatly écrit sur son site, très beau, la trace bleue, des mots d’usines, des mots à propos des ateliers d’écriture qu’elle anime et d’autres encore. Profitez donc de son petit temps de pause obligée ces jours-ci pour aller tout rattraper depuis le début si vous ne suivez pas encore son travail sur toile.

Et puis lisez ses si beaux livres.

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nov 25, 2008

Couleurs Bergounioux (au couteau)

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Il y a longtemps que je n’avais pas coupé les pages d’un livre.

J’ai d’abord nettoyé soigneusement la table de la cuisine, sur laquelle je craignais quelques malheureuses traces sucrées ou, pire, chocolatées, avant d’y déposer l’ouvrage. J’ai ensuite cherché dans le panier à couverts une belle lame propre à remplir cet office, un couteau fabriqué main : que cette affaire se règle entre hommes de fer.

Enfin,  glissant dix fois la lame choisie de la tranche vers le dos du livre, j’ai libéré à la lecture les 36 pages paginées de Couleurs de Pierre Bergounioux – textes – et Joël Leick – dessins – qui vient de paraître aux éditions Fata Morgana.

C’est la dernière lettre de Poezibao qui m’avait alertée sur ces Couleurs, achetées chez mon marchand habituel, retour de Manosque ce début de semaine. Je ne suis apparemment pas la seule à avoir réagi très vite.

Couleurs, un très joli petit livre, comme déjà le précédent bref Années folles de Pierre Bergounioux paru il y a quelques mois aux éditions circa 1924. Des volumes aussi minces que ses Carnet de notes avec leurs milliers de pages sont robustes, mais dispensateurs de petits plaisirs qui aident à patienter.

Années folles, je l’avais lu ce printemps et sept minutes de train, retour de la librairie, y avaient suffi. Couleurs, livré plié se refuse à une lecture compulsive de cette sorte, demande qu’on prenne son temps  (ou alors on l’esquinte) et les yeux n’y suffisent pas.

Mais ne comptez pas sur moi pour annoncer la couleur de ce qu’il y a l’intérieur : tâchez plutôt de mettre à votre tour la main sur un des cinq cents exemplaires…

PS : si vous cherchez d’autres articles de ce blog consacrés à Pierre Bergounioux, en voici quelques uns :

Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux

Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)

Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)

Compression d’étés bergouniens

Lui et nous : à propos du Carnet de notes 2011-2015 de Pierre Bergounioux

Jonquilles primeures à Gif-Sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux

Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux

Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux

Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010, lecture in progress

Lecture en cours : Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010

“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur

Dans Les moments littéraires, Bergounioux

Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux

D’une page 48 de Bergounioux, et tout son monde est là

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oct 1, 2008

Lecture, sens contraire de la marche

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Hier, L’employée aux écritures a mis à profit les 3h38 de voyage dans le train brouette (voie unique) 17354 puis les 2h13 passées dans le TGV (voies qui se croisent) 6220 (solution de continuité = 30 minutes en gare de Valence TGV) pour lire les 351 pages de CV roman de Thierry Beinstingel (Fayard, 2007).

Lecture de vacances délibérément sens contraire de la marche (et même pas du bon côté pour la vue sur le lac, photographié au téléphone portable, debout sur son siège, par ma voisine qui a fini par se faire inviter à partager le box-bureau du contrôleur, et j’étais plus tranquille pour lire) puisque c’est du travail qu’il est question.  

Du travail, ou plus précisément de sa mise en page sur feuille unique 21X29,7 recto seul, sous forme de CV quand il s’agit de se mettre en mouvement pour continuer à exister et que d’un côté de la table il y a celui qui sait faire (le Conseiller Mobilité Référent) et de l’autre celui qu’il s’agit de vendre sur le marché des emplois (pas des amants comme sous une avalanche soi-disant littéraire – cf le titre à la une du Monde daté d’aujourd’hui et son dessin qui m’agace).

Quand il se trouve que le Conseiller Mobilité Référent dans sa vie autre est travaillé par l’écriture et la travaille, seul ou en chef d’ateliers, et que l’histoire se passe pas loin du hameau de Roche (panneau cherché comme ailleurs on guetterait celui des Bordes) les CV sont décryptés bien au-delà des cheminements apparents des vies. Pour Thierry Beinstingel les deux lettres CV veulent dire aussi Creux Visibles, C’est ma Vie, Courber les Verbes, Coquille Vide, Cramer une Voiture, Cogner nos Vies, Courir en Vain ou Continuer Voguer, au gré des entretiens préparatoires à la rédaction du fameux document.

Expérience – Formation – Loisirs – Situation : le Conseiller Mobilité Référent aide à ranger les années de vies dans ces rubriques, rogne et ajuste pour que ça tienne et donne envie d’en savoir plus. Et toutes s’y plient à ces mobilités, “volontaires suscitées”, accidentelles, ou de bout de course, tandis que rôdent les silhouettes convoquées de Rimbaud et de Sylvain Schiltz, celui qui meurt un hiver, par là pas loin, dans sa voiture sans rien demander à personne.

CV roman, déplie des feuilles A4 (à toujours plier en 3 et non en 4) et des gens vrais en sortent, gens au travail, gens chez eux, gens qui font leurs courses, gens d’aujourd’hui, observés par un oeil qui rappelle la justesse de la caméra de Laurent Cantet quand elle saisit le travail ou sa comédie (Ressources humaines et L’emploi du temps). Mais le regard de l’écrivain-Conseiller Mobilité Référent, qui un temps à son tour s’en ira apprendre encore pour rajouter des lignes à sa propre rubrique formation, perce plus profond les mots sur les CV et ceux produits dans ses ateliers, comme seule l’expérience totale du travail “avec” la littérature l’autorise.

 

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août 29, 2008

Pas un savon pour Glykos

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Petit bonheur de lecture matinale ce dimanche avant d’aller prendre ma douche derrière mon rideau toujours trop court (cf mon billet du 6) les 110 pages d’à proprement parler d’Allain Glykos, si joliment éditées à l’Escampette en 2003. Le plaisir commence avec la photo de couverture, ce dessus de lavabo avec accessoires de toilette sur fond de papier peint (qu’on devine lavable) improbable comme dans les maisons où l’on passe et s’étonne de trouver un papier pareil collé sur les murs de la salle de bains.

C’est l’histoire d’une phrase désobligeante (mais alexandrine) – on n’en dira pas plus – dite l’air de rien par une soeur à propos d’un frère au cours d’un repas de famille à partir de laquelle ledit frère se monte quelque peu le bourrichon. C’est sans pitié pour la fraternité, les conséquences hygiénistes excessives du confort moderne et la vie d’une famille nombreuse dont le père rabâche à tout bout de champ que “le silence de chacun assure le repos à tous” et ne supporte pas qu’on jette “l’eau propre sur la famille”.

L’écriture de Glykos, délicieusement répétitive et cumulative, fait rendre aux mots tout leurs jus (de chaussettes odorantes) pour raconter cette histoire de propre et de sale qui invite chacune et chacun (mais différemment) à se regarder en face dans la glace au dessus du lavabo. On réfléchira à deux fois, après sa lecture, avant de proposer au voyageur qui arrive de loin de “prendre une bonne douche” pour se remettre, comme on évitera de manger à la hâte une côte de veau avant d’aller au concert. Et l’on se dit qu’au delà de son caractère plaisant et drolatique, l’affaire subtilement empreinte d’analyse aurait bien plu à un certain Sigmund.

C’est Patrick Frêche, quand j’étais passée en mai dernier dans sa librairie à Royan qui m’avait vanté les mérites de Glykos, il avait raison et je vais continuer à le lire avec son prometteur aller au diable et c’est une chance, il y en a plein d’autres.

Je précise qu’arrivant à l’ordi pour écrire ce billet j’ai trouvé le chat sur le bureau jouant innocemment avec ma clé USB. Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas parce que ce macbook était dépourvu de souris qu’il fallait se croire tout permis pour compenser ce manque…

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juil 13, 2008

Vertus stendhaliennes du tilleul

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Les grand magnifiques feuillus et parmi eux des tilleuls comme je n’en avais jamais vus qui entouraient la maison, un ancien moulin au bord de la Valouse dans le Jura, dans laquelle j’ai dormi la nuit dernière me faisaient penser très fort à

 ”Pour madame de Rênal, la main dans celle de Julien, elle ne pensait à rien ; elle se laissait vivre. Les heures qu’on passa sous ce grand tilleul que la tradition du pays dit planté par Charles le Téméraire, furent pour elles une époque de bonheur. Elle écoutait avec délices les gémissements du vent dans l’épais feuillage du tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui commençaient à tomber sur ses feuilles les plus basses. Julien ne remarqua pas une circonstance qui l’eût bien rassuré ; madame de Rênal, qui avait été obligée de lui ôter sa main, parce qu’elle se leva pour aider sa cousine à relever un vase de fleurs que le vent venait de renverser à leurs pieds, fut à peine assise de nouveau qu’elle lui rendit sa main presque sans difficulté, et comme si déjà c’eût été entre eux une chose convenue.”

Stendhal, Le Rouge et le Noir, p.108-109 du Folio classique n° 3380.

C’est pourtant une verveine que j’avais sagement bue hier soir. Et de la toute petite fenêtre de ma chambre, tôt ce matin, les arbres du bord de la rivière étaient comme ça

Mais, vous en reprendrez bien une dernière petite gorgée

“Minuit était sonné depuis longtemps ; il fallut enfin quitter le jardin : on se sépara. Madame de Rênal, transportée du bonheur d’aimer, était tellement ignorante, qu’elle ne se faisait presque aucun reproche. Le bonheur lui ôtait le sommeil. Un sommeil de plomb s’empara de Julien, mortellement fatigué des combats que, toute la journée, la timidité et l’orgueil s’étaient livrés dans son coeur.”

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juil 11, 2008

Lecture Recherche Recherche Lecteurs

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Après un délai convenable de réflexion, je me suis finalement inscrite au baiser de la matrice pour rallier la belle initiative de Véronique Aubouy : le film à la webcam d’une lecture intégrale de La recherche du temps perdu effeuillée à raison d’une page par lecteur.

Je suis la 151e inscrite et il faudra être 3000 en arrivant au port fin septembre, donc n’hésitez pas à nous rejoindre et à convier vos amis. J’avais croisé l’information ici et , au fil de mes lectures/écran de saut du lit pendant que l’eau chauffe pour le thé. Bien que d’un naturel à fuir les objectifs, j’estime que pour Marcel qui m’a tellement donné, je peux bien faire ça.

J’ai hâte d’en savoir plus sur les modalités concrètes de cette entreprise  notamment l’édition de référence ou l’attribution de sa page à chaque lecteur. Si c’est par ordre d’inscription et en livre de poche j’ai toutes les chances de me retrouver à Combray.

Le formulaire à remplir s’enquiert à l’avance de nos éventuelles idées de mises en scène ; j’ai répondu que je devais me concerter sur ce point avec le chat qui ne manquerait pas de vouloir être de la partie. Je me dis maintenant que pour l’occasion, je ressortirai de la boîte de bergamotes de Nancy où elle dort ma montre proustienne qui ne donne plus l’heure, mais ça ne se verra pas.

J’invite en tout cas celui qui possède la même, en état de marche aux dernières nouvelles, à nous rejoindre dans ce film qui me fait irrésistiblement penser à un autre vu, quand j’étais petite, au cinéma des curés (séance du dimanche 14h30, avec court métrage burlesque ou dessin animé, actualités, feuilleton de science fiction, entracte et grand film, de quoi occuper l’après-midi) : Si tous les gars du monde. Une histoire de médicament à acheminer d’urgence et qui arrivait in extremis grâce à la mobilisation d’une chaîne de radio-amateurs tout autour du monde. Un film qui m’avait énormément plu.

Un peu le même principe, mais là, c’est de soigner Proust qu’il s’agit.

(écrit dans le TGV vendredi en partance pour Privas, ce billet sera mis en ligne dès que je pourrai – en fait seulement à mon retour dimanche)

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juin 8, 2008

Lectures 1976-1980

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Je continue à répondre à la question de François Bon.

Un deuxième temps très fort pour les lectures, ces années pendant lesquelles, outre apprentie historienne, je suis “collaboratrice occasionnelle à mi-temps” (ça existait !) à la Bibliothèque nationale 58 rue de Richelieu. Tous les matins nous sommes 4 ou 5 étudiants à trier, préclasser, classer et finalement intercaler des fiches dans les fichiers “Auteurs 1936-1959 et suppléments des années antérieures” et “Auteurs depuis 1970″.

La conservatrice responsable des fichiers auteurs et de l’équipe d’intercaleurs s’appelle Paulette Perec. Elle donne le la des lectures et des films consommés ensemble à très hautes doses (le cinéma ces années-là, c’était 3 ou 4 films par semaine) et qui alimentent nos conversations autour de la table sur laquelle se déversent d’énormes paquets de fiches à trous – les premières faites à l’ordinateur, livrées en vrac. Conversations qui se poursuivent dans les cafés autour de la BN (on a droit à une pause parce que la salle est souterraine), lors des dîners succulents dont Paulette nous régale régulièrement, et dans des maisons de vacances louées où l’on se retrouve encore.

A côté de Sarraute, Yourcenar, Perec (Georges, qui habite l’immeuble où ont lieu nos dîners, mais 2 étages plus bas), Flaubert et Maupassant – je suis très fière de mes premiers investissements pleiade : une fortune, ramené à ce que je gagne – qui accompagnent toujours, les découvertes majeures de ces années-là relèvent toutes de littératures étrangères. 

Je lis latino-américain, à tour de bras. Cortazar, tout, au fil des traductions, préférence aux nouvelles ; Garcia Marquez, choc tellurique des Cent ans de solitude, espoir renouvelé à chaque nouvelle parution, mais non ; Alejo Carpentier, Siècle des Lumières et Partage des eaux en tête, mais aussi ceux à suivre ; Vargas Llosa grand plaisir avec La Tante Julia et le scribouillard, Borges évidemment, Aleph et Fictions d’abord. Tout ça Gallimard du monde entier ou folio si ça existe ; et Bioy Caseres, j’oublie la collection.

Mais je découvre aussi Isaac Bashevis Singer avec La famille Moskat (que je lis en ayant la grippe et de la fièvre au point que j’y vois double, mais je m’accroche), Yachar Kemal, avec Mémed le mince et Mémed le faucon, ou Kawabata, avec Le lac. De moins loin, je lis Svevo, La conscience de Zeno, et Handke, La femme gauchère en premier et Le malheur indifférent, Grass, Le tambour, et Boell, L’honneur perdu de Katarina Blum. Mais je n’accrocherai jamais à la littérature anglo-saxonne.

En 1980 mon contrat de collaboratrice occasionnelle à mi temps n’est pas renouvelé, mais je refuse mordicus d’aller m’inscrire au chômage et tout aussi mordicus de passer des concours. Vaches maigres, mais question formation, c’est bon.

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mai 5, 2008

Lectures 1970-1973

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Pour essayer de répondre à la question posée par François Bon de ce qu’on a lu, et à quel âge, de plus déterminant pour le reste du parcours et pas seulement celui des lectures, mais en faisant l’impasse sur l’enfance et la première adolescence (pas envie d’y réfléchir maintenant).

Juste remonter un peu en partant de la pierre angulaire : la lecture d’A la Recherche du temps perdu, à 17 ans et demi très précisément, l’été après le bac en attendant la rentrée de la fac, tard en octobre. Les volumes, moitié livre de poche et moitié folio, achetés au fil des librairies accessibles cet été-là, passé en grande partie en Normandie sur un chantier de fouilles dans le Cotentin, ou dans la maison des parents : j’en ai acheté probablement à Caen, à Carentan, ou à Valognes si je me souviens bien, et puis à Bagnoles-de-l’Orne et à Domfront. Sur le chantier ma lecture, livre en main dès que je pose ma truelle, m’attire des réflexions du genre “un bon écrivain ne doit pas se sentir obligé d’emmerder le monde” – je laisse dire et j’avance, j’enchaîne, dans l’émerveillement.

Ce qui m’a permis de recevoir la Recherche si tôt et sans déperdition de compréhension – j’en reçois d’emblée tout ce que sa lecture peut m’apporter, je le sais pour y replonger régulièrement – ce sont les lectures des trois années précédentes prises en main par A. H. prof de lettres, toute jeune agrégée, que j’ai la chance d’avoir en seconde et en première. Plus de français en terminale (classe scientifique), mais nous sommes une poignée à continuer avec elle une heure par semaine et là plus du tout de programme, vannes grandes ouvertes.

Pendant trois ans A.H. nous secoue intellectuellement comme des pruniers, nous sort de notre torpeur. Nous assène dès le premier cours que 20 ans n’est pas le plus bel âge de la vie – on en a 15 ou 16 et on ne pense qu’à ça, en avoir 20 – pour enchaîner très vite qu’on ne naît pas femme on le devient, et on court derrière des idées et des livres pareils. On n’arrête plus. Des livres indissociables des collections dans lesquelles on les découvre, dont beaucoup n’existent plus, et qu’on écumera par la suite. Tous encore sur mes étagères.

On a démarré avec Nizan, Aden Arabie, dans la Petite collection Maspéro où elle nous fera vite acheter aussi Fanon Les damnés de la terre. Présence du futur, abordée par Bradbury, Chroniques martiennes. 10X18 on découvre avec Malson, Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron, suivent Butor, La modification et les Vian évidemment. Freud, Introduction à la psychanalyse et Psychopathologie de la vie quotidienne en Petite bibliothèque Payot. Chez Folio, Cortazar, Les armes secrètes, Flaubert, Bouvard et Pécuchet, des Maupassant, Breton, Nadja et l’hôtel des grands hommes place du Panthéon qu’on ne verra plus autrement que comme un point de départ, et Le planetarium de Sarraute. Les Garnier-Flammarion blanc pour toujours ce sera Le lys dans la vallée “elle était comme vous le savez déjà…”. D’autres romans longtemps lus comme celui-là en boucle, mais en collection éponyme livre de poche : La princesse de Clèves, Gatsby le magnifique, Le bal du comte d’Orgel “et maintenant Mahau, dormez je le veux”, Madame Bovary et Nerval, Les filles du feu “le sang des Valois coulait dans ses veines” et Aurélia ”chacun sait que dans les rêves on ne voit jamais le soleil…”. En J’ai lu, on achète Les choses et on découvre Perec qu’on ne lâchera plus, et en Idées Gallimard Le deuxième sexe, un fameux vaccin.

Comme enveloppée de la gangue de ce qui reste de chacun d’eux, parée pour la Recherche. 

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mai 4, 2008

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