L’employée aux écritures a décidément la lecture bucolique ces temps-ci, enchaînant au Sanzaki de Jean-Loup Trassard la Mort d’un jardinier de Lucien Suel.
En son jardin potager, entouré de ses légumes et de ses outils, visité par des bêtes jamais bien loin de ses planches rigoureusement tracées – un rouge-gorge, une colonne de fourmis, une taupe et le chat qui vient se coller à sa cuisse – un jardinier se meurt.
Au fil de 23 chapitres qui sont autant de longues et belles phrases commençant par “tu” – “tu marches”, “tu regardes le ciel”, “tu noues les lacets de tes chaussures”, “tu récoltes ce que tu as semé”…-, Lucien Suel, observateur compréhensif du soin que prend le jardinier de sa terre, parle à celui qui finit sa vie dans ses mots.
Et puis, une fois la douleur venue déchirer la poitrine du jardinier et le coucher sur cette même terre – “tu es cloué au centre du jardin” “tu n’as plus de force” “tu respires encore” “tu restes immobile”…-, c’est toute une vie convoquée en rafales par tous les sens et par tous les âges, que met en mots et en partage l’homme invisible du jardin.
En empathie parce que ces deux hommes sensibles, jardiniers l’un de terre et l’autre d’écriture, avec leurs tâtonnements, leurs doutes, ce qu’ils ont vu, goûté et compris, ce à quoi ils tiennent et ce qui les retient, se ressemblent sans doute comme des frères.
C’est à la fois très beau et très simple, pas triste, et l’on pense à la sagesse de Pessoa et de son Gardeur de troupeau : Lorsque viendra le printemps, / si je suis déjà mort, / les fleurs fleuriront de la même manière / et les arbres ne seront pas moins verts qu’au printemps passé. / La réalité n’a pas besoin de moi.
Je ne sais pas trop pourquoi, mais la mort de ce jardinier me rappelle aussi, de bien loin dans le temps des chansons seulement à la radio, celle du clown chantée par Giani Esposito, avec douceur, respect et poésie. On peut l’entendre ici cette chanson que j’aimais bien, il y a longtemps.
Lucien Suel est très présent sur la Toile, notamment ici et là, traces à suivre ; il est à lire aussi chez publie.net.