Tant de fauteuils à tendre leurs bras
en pure perte
et sans talent
Christo n’en saura rien (et c’est tant mieux)
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
Tant de fauteuils à tendre leurs bras
en pure perte
et sans talent
Christo n’en saura rien (et c’est tant mieux)
Du mardi 5 mai au dimanche 10 mai 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi sur la rue
la grande soif des jardinières aux fenêtres de ceux qui sont partis fait peine à voir.
Mercredi sur l’intérieur
vérifier quand même que dans cette histoire de 2,5kg/personne on compte pour du beurre.
Jeudi sur la rue
si les mardis, jeudis, samedis, autour des étals du marché, se dansera un bal masqué ?
Vendredi sur la cour
rêve éveillé : imaginer nos enfants mêlés à ceux d’en bas (mais ils ont bien passé l’âge).
Samedi sur la rue
rideaux de fer à demi levés : états des stocks, serpillères et balais, et dérouiller les tiroirs-caisses.
Dimanche sur l’intérieur
clore ici la dernière livraison hebdomadaire de notes confinées quoi qu’il advienne du déconfinement.
Du mardi 28 avril au lundi 4 mai 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi sur la rue
toute averse venant reverdir les platanes est source d’espoir.
Mercredi sur la cour
diversification des jeux : apparition d’un croquet et de quilles de bois numérotées.
Jeudi sur l’intérieur
vert, rouge, alerte orange, que chacun voie l’épidémie à sa porte.
Vendredi sur la rue
disparus le fournisseur de muguet communiste français et ses concurrents de sauvette.
Samedi sur l’intérieur
exhumer les pinces à cheveux des vies antérieures qu’on croyait enfouies à jamais.
Dimanche sur la cour
à 17h chaque après-midi, envol des volutes d’un violoncelle voisin.
Lundi sur la rue
un frémissement, comme un frémissement, des prémices, une amorce (et puis rien ?).
Du mardi 21 avril au lundi 27 avril 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi sur l’intérieur
compter en semaines (6) plutôt qu’en jours (36) pour tâcher de s’en tenir à un chiffre.
Mercredi sur la cour
ils ont tous bien progressé en badminton sans doute grâce au filet de fortune installé.
Jeudi sur l’intérieur
jusqu’à la nuit même, lourde de rêves confinés, que le jour ne dissipe pas.
Vendredi sur la rue
le joggeur passant sous la fenêtre à 19 heures pile sort de nulle part, forcément.
Samedi sur l’intérieur
les beaux parleurs de chez eux sur nos écrans ont souvent des plafonds moulurés sur la tête.
Dimanche sur la rue
réapprendre à traverser dans les clous comme les chiens réapprendront la laisse, un jour.
Lundi sur l’intérieur
attendre la stratégie du plan (ou le plan de la stratégie) et tourner en bourrique.
Du mardi 14 avril au lundi 20 avril 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi sur l’intérieur
la saint glinglin, la Trinité, les dents des poules : aux environs de la mi-mai – à confirmer.
Mercredi sur la cour
les marelles tracées dans les petits cailloux ne sont pas durables.
Jeudi sur la rue
ce frisson à chaque passage de camion frigorifique.
Vendredi sur la rue
statistique personnelle : deux personnes au plus par autobus, même dans les doubles.
Samedi sur la rue sur la cour sur l’intérieur
le geste-barrière n’est pas l’apanage du garde-barrière, heureusement.
Dimanche sur l’intérieur
ce que l’on sait c’est que l’on n’en sait pas beaucoup plus sur la suite.
Lundi sur la rue
tous ces chiens qui habitent la ville dans un rayon de moins d’1 km et que l’on ne connaissait pas.
Du mardi 7 avril au lundi 13 avril 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi sur la rue
s’avancer masqués pour une fois qu’avril pouvait nous découvrir d’un fil.
Mercredi sur l’intérieur
pics, plateaux, épicentres, la géographie de 19:15.
Jeudi sur la rue
deux cavaliers et leurs montures carapaçonnés de bleu, chaque jour, au petit trot sur le boulevard.
Vendredi sur la cour sur la rue
nos fenêtres nous ne les verrons plus jamais du même oeil.
Samedi sur la cour
l’érable élagué, de ses jeunes pousses vertes, veut nous dire quelque chose.
Dimanche sur l’intérieur
férié, ouvrable, ouvré, va savoir.
Lundi sur l’intérieur
il faudrait pouvoir en parler au passé mais ce ne sera pas simple.
Pandémie et confinement tendant à nous faire perdre le Nord, j’ai oublié de mettre en ligne aux premiers jours d’avril, comme je me l’étais promis, la suite de mon année bergounienne. Je m’en aperçois et je boucle donc l’année, après mes extraits consacrés à l’été, à l’automne et à l’hiver. Un petit bol d’air corrézien nous fera du bien. Donc toujours selon les principes de ma “Conduite à tenir pour vivre une année bergounienne” publiée dans le livre collectif Pierre Bergounioux : le présent de l’invention, dirigé par Laurent Demanze en 2019, suite de ma contribution inspirée par ma relecture des trois premiers Carnets de notes (1980 à 2010) pour y puiser le schéma de l’année bergounienne archétypique. Je rappelle que tous les passages composés en italiques ci-dessous sont des citations extraites des Carnets.
Avril, mai, juin.
Printemps théorique parce que certaines années l’hiver revient au seuil d’avril, quand ce ne sont pas les giboulées qui frappent à contre-temps mars en mai puisque nous avons eu mai en mars. Néanmoins,profiter des vacances dites de printemps pour descendre en Corrèze même si les huit ou dix jours du séjour ne procurent qu’un avant-goût (de trop peu) de la cure régénérative de juillet. Mettre le cap sur les Bordes, lever 5h30, départ 6h, arrivée 11h, horaire susceptible de varier en fonction des arrêts facultatifs à Orléans, Clermont-Ferrand et/ou Brive. Faire éventuellement l’acquisition d’une carte de pêche en chemin, juste avant d’arriver. Dès l’après-midi ou, au pire, le lendemain passer voir les stocks de matière première à souder au camp des Bohémiens et à la chaudronnerie, en faire provisions : toujours au moins des dents de faucheuses (coriaces à arracher) et des riblons à la pelle. En soirée monter sur le plateau taquiner les truites de la Dadalouze, s’il s’en trouve quelques unes de précoces. Respirer, enfin, respirer. De retour dans la vallée de l’Yvette, si la saison se respecte, tout est vert, soudain, et on se rappelle que c’est déjà le mois de mai ; en avril et mai souhaiter aux plus proches (et à soi-même) leurs anniversaires. Un jour férié, le 1erou le 8 mai faisant parfaitement l’affaire, rentrer dans Paris en voiture, stationner le long du boulevard Edgar Quinet et selon une habitude qui s’invétère finir d’atteindre la Foire de Paris à la porte de Versailles par le métro, ligne 12. Faire là ses emplettes-cadeaux d’anniversaires au pavillon abritant les artisans du monde. L’année scolaire tirant vers sa fin, dernier vendredi de semaine B, derniers bulletins, derniers conseils de classes, s’autoriser à respirer la paix divine du soir de juin à dix heures précises, quand tout est parfum, profusion, gloire et s’offrir même le luxe d’une traversée du campus giffois du CNRS pour s’y saouler aux effluves de l’allée des tilleuls. Combiner le dernier book day fraternel parisien de la saison dans son circuit habituel (rue de Provence, passage Verdeau, métro pour le Quartier Latin puis rue de l’Odéon, boulevard Saint-Michel et bistro rue Monsieur-le-Prince avant de se séparer) avec un passage à la foire au livre ancien de la place Saint-Sulpice. Retour cartable plein à craquer, dos cassé pour trois jours. Corriger les copies du brevet et prendre enfin congé du collège dans la paix mystérieuse, un peu magique, du dernier jour.
PS. Si vous découvrez le blog et souhaitez continuer votre lecture par quelques autres articles dans lesquels il est question de Pierre Bergounioux, passez donc par ici :
Art de la jonquille chez Pierre Bergounioux : mise à jour 2016-2020
Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux
Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)
Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)
Compression d’étés bergouniens
Lui et nous : à propos du “Carnet de notes 2011-2015″ de Pierre Bergounioux
Jonquilles primeures à Gif-sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux
“Vies métalliques”, rencontres avec Pierre Bergounioux
Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux
Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux
Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010, lecture in progress
Lecture en cours : Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010
“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur
Dans Les moments littéraires, Bergounioux
Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux
Du mardi 31 mars au lundi 6 avril 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi à l’intérieur
tisser détisser retisser les fils d’infos, faire sa Pénélope sur la toile.
Mercredi sur la rue
l’obstination de l’anticyclone confine à l’insolence.
Jeudi sur la cour
les pâtés de petits cailloux manquent de tenue, il faudrait du sable humide.
Vendredi sur la rue
les valises à roulettes, toutes, métamorphosées en charriots à commissions.
Samedi sur la rue
de nuit, à l’hôpital en face, des fenêtres éclairées qu’on a toujours vu éteintes.
Dimanche à l’intérieur
les chaussures de ville alignées dans l’entrée s’empoussièrent et n’en reviennent pas.
Lundi à l’intérieur
innocente intrusion du dehors la botte de radis prend des airs de cheval de Troie.
Du mardi 24 mars au lundi 30 mars 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi à l’intérieur
agendas gommés à perte de vue, angoisse des pages blanchies.
Mercredi sur la cour
deux par deux, les fratries, badmington, sans échange de raquettes.
Jeudi à l’intérieur
les mains récurées y laisseront leurs peaux.
Vendredi sur la rue
les couloirs de bus coulent des jours paisibles.
Samedi à l’intérieur
nos fors intérieurs n’en demandaient pas tant.
Dimanche à l’intérieur
passage à l’heure d’été sans penser l’été.
Lundi sur la rue
plus personne ne compte ses pas : 10 000 par jour on n’y arrivera jamais.
Du mardi 17 mars au lundi 23 mars 2020, avec vues sur rue, sur cour ou sur intérieur.
Mardi sur la rue
les chiens, même en laisse, sont les rois du boulevard.
Mercredi sur la rue
la croix verte de la pharmacie signe la vie.
Jeudi sur la cour
un enfant après l’autre joue sa récréation.
Vendredi à l’intérieur
les cheveux poussent désormais sans craintes.
Samedi à l’intérieur
l’adjectif drastique est sorti de sa réserve.
Dimanche à l’intérieur
les heures creusent leurs trous profond.
Lundi sur la cour
jalouse de la corde à sauter, pas pour me pendre, juste sauter.